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Mardi 1er octobre Que le temps passe vite ! Déjà un mois que j’ai commencé mon cours que j’aime il va sans dire. Je trouve les matières et les professeurs intéressants. J’aime apprendre comment le corps humain est fait et comment il fonctionne, je deviens plus à l’écoute de mon cœur qui bat. Nous avons tout de même différentes matières et je me rends s compte qu’il ne faut pas rien négliger parce que les examens vont commencer vers la fin octobre. Alors il me semble toujours que, comme j’ai déjà enseigné et je suis plus vieille que les autres, je dois être meilleure et ne faire aucune erreur. Je commence seulement à m’amuser un peu avec les filles qui rient comme des folles, au début ça me tapait sur les nerfs car je n ‘étais pas habituée à ça . Dans les premières semaines j’ai eu une prise de bec avec Diane Hotte qui a traité sa sœur Pierrette de P’Tite vache, je lui ai dit que ça ne se disait pas, elle m'a rétorquée , toi la maîtresse d’école vient pas écœurer, ah je n’en revenais pas ; je lui ai dit qu’elle était mal engueulée, elle s’est mise à rire et m’a dit : " Écoute Carmen si tu veux être chum avec nous autres faut pas que tu joues à la maîtresse d’école, ça marchera pas , on n’est pas en première année". J'ai répondu : "Parfois ça paraît pas parce que je pense qu’ils étaient plus polis qu’une bonne gang de filles d’ici". Alors la Pierrette , Diane et Irène se sont mises à rire et moi de rire avec elles. Diane m'a dit "envoie Carmen ! vient manger avec nous autres !" Et depuis ce jour on est toujours ensemble Diane et moi, et j’ai cessé de jouer à la maîtresse d’école. Jeudi 3 octobre. Il y a une fille ici que
je trouve très belle avec ses longs cheveux blonds attachés
en queue de cheval, Louise Massicote . Je ne sais ce qu’elle apprendra
car elle dort sur son bureau la moitié des cours c’est une isolée
qui ne parle presque à personne je finirai par lui parler .
Vendredi 4 octobre Les religieuses du cours
d’infirmières, elles sont trois : Sr Marie-Paule du Sauveur qui
semble assez jeune quand même, et qui est comme nous. Il y a Sœur
Lucie, rouge comme une tomate et qui semble empotée, et il y a une
assez vieille et très grosse Sr Marie Jean de la Croix. Elle semble
la plus marabout de la classe, elle traîne la patte lorsqu’elle arrive
au cours et il me semble toujours qu’elle ne parviendra pas à s’asseoir
dans sa chaise tant elle est grosse. Je porte déjà un jugement
sur elle, je ne la vois pas auprès des malades ! A qui va demander
une pilule et à la lenteur qu’elle a, il aura le temps de mourir.
Je ne sais pas si elle va se rendre au bout celle là ?
Dimanche 6 octobre Irène est allée
chez elle en fin de semaine. Moi je reste seule dans la chambre. J'aime
retrouver un peu de solitude malgré la finesse d’Irène que
j’aime beaucoup. Je la trouve pleine de délicatesse cette fille
et très rieuse et joueuse de tours. Je dois toujours me méfier,
elle peut mettre un œuf dans mon lit comme l’autre soir, elle avait hâte
que je me couche et ne voulait pas éteindre. Dis ! couche toi, je
vais traîner un peu et paf : un œuf sous moi ! Je lui en mis dans
les cheveux, on riait comme des folles et je ne pensais pas que je pouvais
encore m’amuser de cette façon. Il arrive qu’on se raconte des choses
jusqu'à une heure du matin.
Mardi 8 octobre J’ai causé avec René Théberge, un gars du cours, il est très ricaneur. Il m’a dit qu’il me trouvait
si sérieuse qu’il n’osait pas me parler. Je lui ai dit : "Pourquoi
?" "A cause de ta coiffure qui te vieillit trop". Je le savais moi –même,
mes cheveux coiffés haut que je dois faire couper . On s’est ms
à marcher et à parler, René voulait savoir tout ce
que j’ai fait dans la vie comme si j’avais fait le tour du monde. Je lui
ai dit écoute René quel âge tu as ? il a dit 20 ans,
et moi j’ai répondu j’ai 21 ans, penses-tu que j’en sais beaucoup
plus que toi ? C’est bien vrai dit-il. Et on a tellement ri de cette constatation
! Il me dit : "Carmen tout le monde te pense plus vieille parce que ça
paraît que tu as fait l’école ! parfois on n’ose pas faire
des farces , on a peur que tu nous chicanes ! Ah là je le regarde
hébétée. Il éclate de rire ! Il me taquinait
bien sur. Une autre amitié venait de naître.
Vendredi 11octobre Les autres garçons
du cours sont Armand Laronde, et Raoul Landry, deux gars super, gênés
qui parlent à personne. Ils se tiennent à l’arrière
de la classe et on ne les entend pas. Je ne leur ai pas encore parlé
à eux non plus, mais j’ai causé avec la plupart des filles
et je m’entends bien avec la plupart sauf quelques exceptions dont je finirai
par parler.
Samedi 19 octobre Je suis allée voir Yolande après souper. Nous avons causé de beaucoup de choses, de la classe, ni elle ni moi qui aimions tant l’enseignement n’enseignons cette année. Je lui disais que je n’arrivais pas à croire qu’elle était mariée, et elle disait qu’elle ne pouvait pas croire que je faisais mon cours d’infirmière. Elle me dit qu’elle ne voudrait
plus être fille même si elle a aimé sa vie de jeune
fille, que la vie à deux était merveilleux. Pourtant moi
j’ai l’impression qu’elle n’est pas aussi heureuse qu’étant fille.
C’est peut-être une fausse impression. Tout de même elle est
bien maigre, et elle avait la figure beaucoup plus épanouie étant
fille. Nous avons aussi parlé de Normand, elle aurait tellement
aimé le connaître, et nous nous sommes laissés avant…
D’en parler avec elle, a ranimé mes souvenirs et je suis sincère
en disant que ce soir je m’ennuie de lui, car je me sens seule. Peut-être
était-il ainsi lorsqu’il m'a écrit sa longue lettre cafardeuse.
Ce fut sa dernière. Ensuite il est venu une fois avant que j’entre
ici. Comme il m’avait semblé désespéré alors
! et que pouvais-je y faire ? Mon choix était fait. Ici il m’arrive
assez rarement d’y penser mais quelquefois, comme ce soir, quand j’ai trop
le vague à l’âme ou que je m’ennuie ou que ça va mal
dans mes classes j’y pense. Il m’arrive même de me dire que c’est
idiot d’avoir commencé ce cours alors que j’avais déjà
une profession et un bon ami mais heureusement je change rapidement pour
une pensée plus positive.
Lundi 28 octobre Où est le bonheur ? Mais ou est-il ? Qui l’a arrêté dans sa course à satisfaire le monde ? Non pas tout le monde car il y aura toujours des gens pour qui le mot bonheur est inconnu et encore plus le sens du mot. Pourquoi reste t il toujours à la même porte alors que tant d’autres l’attendent ? Ou pourquoi part t il si vite alors que l’on croit le posséder entièrement ? Ou a t il fui, que l’on le rejoigne ? Bonheur reste la à la porte de nos maisons ! Reste à la porte de nos cœurs ! Reviens si tu es parti et ne pars pas si tu es ici ! Bonheur berce nos cœurs de joie et d’amour ! Bonheur donne nous d’aimer les bons et les autres, que l’on ne voudrait pas voir parce qu’ils importunent notre vie ! Justement ceux là même qui nous volent ce bonheur ! Même s’ils sont méchants, ils le désirent, ils y aspirent et ils le reçoivent avec volupté. Qu’y faire ? Ils y ont droit sans doute quoique disent nos cœurs. Bonheur tu es sur toutes les lèvres ! Tout le monde crie à toi, t’appelle et tu restes la insensible à tout ce tumulte de recherche de bonheur ou encore tu fuis ce tumulte et tu t’enfermes là où ce bonheur serait moins nécessaire pour refleurir des âmes. Bonheur pourquoi ce mot puisque tant souffrent ? Tu n’écoutes pas le cri de leur cœur esseulé, apeuré ! As-tu vu ces larmes de la mère perdant son enfant ? Ces appels stridents de l’âme des mal aimés ? Et je pourrais discourir pour moi-même encore longtemps sur le bonheur.. |