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Novembre *
Lettre de Normand *
Pour causer : Lise *
Jeux de rôles *
Un autre que je préfère oublier. *
Rencontre dans l'autobus :
Tom aux yeux verts. *
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Lettre
de Normand
Vendredi 1er novembre
Je reçois une lettre de Normand
que ma mère m’a fait suivre, en fait je ne l’attendais plus. J’en
fus surprise et émue. Il me dit :
" Carmen mon doux petit agneau
que j’ai tant aimé, je souffre et n’arrive pas à t’oublier
bien que ma vie s’oriente autrement maintenant. Je sais qu’avec ton grand
cœur, tu as déjà du me pardonner la peine et l’affront que
je t’ai fait de ne pas me rendre à ce rendez-vous du 24 août.
J’en ai souffert autant que toi d’autant plus que je m’attendrai vraiment
que tu m’annonces une rupture. Je me suis rendu compte que tu tenais à
faire ton cours d’infirmière plus que tu tenais à moi. J’étais
celui qui aime le plus, et je me suis toujours senti vieux près
de toi si fraîche et vivante, je sais que mon pessimiste te déplaisait.
A tes cotés avec ta gaieté
naturelle peut-être y aurais-je succombé ? Je ne pouvais attendre
n’ayant aucun espoir. Peu de temps après mon retour à Laval,
j’ai rencontré une fille de 27 ans comme moi, peu jolie mais gentille,
c’est tout ce que je peux en dire pour le moment. Peut-être en viendrai-je
à l’apprécier ! Je t’ai encore dans la tête et le cœur
! Que veux-tu Carmen, tu ne sembles pas consciente de l’effet que tu produis
aux autres ! Tu as été mon rayon de soleil, mais il faut
dire que la distance ne nous a pas aidé. Peut-être que près
se voyant plus tu m’aurais aimé, je ne peux t’en vouloir, tu es
pleine d’énergie et tu as beaucoup de projets. Tu ne sembles pas
prête pour la vie de couple et fonder une famille, alors que moi
je ne pense qu'à ça, je vis seul depuis trop longtemps. Je
te souhaite bonne chance dans ce cours que tu commences, et je pense à
toi tous les jours, mon petit agneau si doux. Normand "
J’ai pleuré en la lisant, je
suis allée marcher dans le parc, l’air était très
froid, ça sentait le début de novembre, mois triste entre
tous, et qui commençait triste pour moi. Au retour je n’allai pas
souper.
Je suis montée directement à
ma chambre, seule Irène était partie pour la fin de semaine,
je relus plusieurs fois cette lettre que je trouvais si triste, je me couchais
pour pleurer Normand que je faisais souffrir, et je me sentis très
seule dans ma petite chambre tout comme je l’imaginais dans la sienne.
Samedi 2 novembre
Grand-père, Grand-mère
Gauthier je pense à eux en me levant et je leur parle dans ma tête.
Qu’ont ils vécu comme amour ces gens d’une autre époque,
je me le demande même pour mes parents souvent.
Je décide d’aller à la
messe, et je prie pour Normand, qu’il trouve le bonheur, et qu’il m’oublie.
La messe me redonne du courage et un
certain pep pour passer cette journée. Je déjeune et me plonge
dans mes livres d’étude. En p.m. je vais voir Réjane qui
étudie aussi, et nous allons marcher en ville, on se permet d'aller
prendre une liqueur dans un restaurant. On parle de Normand, sa lettre,
Réjane le connaît peu et a peu d’opinions sur la question.
Elle me dit que pour sa part actuellement elle trouve le travail sur les
départements épuisant, elle est en médecine et traîne
la patte, mais elle aime ça. On a tous les deux un problème
fort différent dans la tête.
Pour
causer : Lise
Lundi 4 novembre.
A la pause Lise Perrault vient me
trouver pour causer. Elle commence à me raconter ses problèmes,
et me dit que, depuis qu’elle est ici, personne ne lui parle, elle est
seule et gênée. Ca ne va pas bien à la maison, elle
est adoptée, et sa mère est sévère avec elle,
elle croit qu’elle ne l’aime pas. Ouf, elle me déballe tout ça
et me regarde comme si elle pensait que j’avais une baguette magique. Je
ne sais trop que lui dire, je tente de l’encourager, mais je me sens si
inutile aujourd’hui auprès d’elle, mais elle semble satisfaite puisqu’elle
me dit qu’elle aimerait que je sois son amie pour me parler, elle me dit,
je remarque que tu écoutes plus que les autres toi, et tu sembles
aimer tout le monde. Je l’assure que je peux être son amie avec plaisir
et qu’elle pourra toujours me parler de ce qui la tracasse. Elle semble
tout heureuse, et de ce fait je le suis aussi.
Jeudi 7 novembre
Depuis que Lise m’a parlé j’ai
tendance à l’observer plus durant les cours, elle est assise de
biais deux places devant moi. Cette fille semble toujours dans la lune,
et joue au ping-pong avec ses pellicules tout le temps des cours. C’est
vrai qu’elle me semble très dépressive, et que personne ne
lui parle, je tente donc de l’intégrer dans notre petit groupe à
l’heure des repas.
Samedi 9 novembre
Je me sens si bien à la maison
à causer avec maman de tout ce qui se passe à l’école
d’infirmières !
Je lui parle aussi de Réjane
qui est en stage et trouve ça difficile et fatigant, et Man s’inquiète
normalement, elle craint que Réjane soit malade comme elle l’a été
à Senne-terre, et nous savons que ce serait dramatique si elle ne
pouvait terminer son cours, mais je rassure man que ça n’arrivera
sûrement pas. Man me prépare un bon repas, elle semble si
contente
que je sois là. PA parle pas beaucoup, mais je pense qu’il écoute
avec intérêt ce que je raconte. Ah ce que j’aimerais pouvoir
lui parler à mon petit père comme je le fais avec maman,
et qu’il donne aussi son avis, mais non il reste silencieux…
Dimanche 10 novembre
Déjà le retour aux études,
cette visite m’a fait du bien, J'aime bien retrouver ma chambre de jeune
fille.
Irène est déjà
entrée lorsque j’arrive. Nous jasons jusqu'à minuit de notre
fin de semaine respective, elle me parle de son Jacques. Pour ma part je
ne lui raconte rien de la lettre, de toute façon je ne lui ai jamais
parlé de Normand. Pourquoi lui raconter cette histoire ? Man nous
a toujours dit que nos choses personnelles, il fallait les garder pour
soi, je ne comprends pas qu’elle me raconte en détails tout ce qui
se passe avec Jacques. Pour elle cela semble tout naturel, sans la juger
de le faire je ne suis pas pareil.
Jeux
de rôles
Samedi 16 novembre
J’avais pour cette journée
une certaine antipathie préconçue avant même qu’elle
n’apparut. Depuis près d’un mois qu’on nous avait annoncé
la visite de deux infirmières de Montréal ou plutôt
une institutrice clinique et une étudiante infirmière qui
devaient venir faire un samedi d’études avec nous. Comme nous sommes
assez égoïstes de nos samedis et que nous voulons en disposer
comme bon nous semble, personne n’était enchanté d’avoir
à le passer sur les bancs d’école avec deux étrangères.
Mais ces idées s’envolèrent des qu’elles nous furent présentées.
Très simples toutes deux elles nous parlent de notre vie d’étudiantes
mais en clinique auprès des patients, et ce sont des sketches improvisées,
jeux de rôles toute la journée, ou malgré tout elles
passent leurs théories ; on se demandait le pourquoi des gros sacs,
c’était des déguisements de toutes sortes, des perruques
blanches, des coiffures et habits d’hommes ; on s’est amusé comme
des folles tous la journée, ce qu’on ne savait pas c’est que nous
avions un lunch pour la circonstance et qu’en p.m. on nous emmènerait
dans une grande salle avec des civières pour faire nos jeux de rôles.
Le tout s’est terminé à 5 heures et je crois que personne
n’a trouvé cela long…
Alors petite Carmen, attends donc de
voir ce qu'il en est avant de te monter la tête !
Vendredi 22 novembre
Ce soir veillé de la Ste-Catherine
à l’hôtel Picard, organisée par les étudiantes
et Monique V de 3ieme Année nous dit qu’elle nous présenterait
les garçons de la J.O.C. Je me suis habillée dans la joie.
Nous sommes parties toutes les trois, Thérèse, Irène
et moi. Nous avons passé une très belle soirée, et
avons rencontré des jeunes gens gentils, mais aucun qui me frappe
vraiment.
Un
autre que je préfère oublier.
Samedi 23 novembre
Réjane est revenue de chez
moi avec un tas de nouvelles. Elle m’a dit avoir rencontré Ken.
Elle l’a trouvé genre sympathique mais pas beau du tout. Elle croit
qu’il trouve Janine qui suit un cours d’anglais de soir avec lui, bien
à son goût, d’après ce que celle-ci lui a raconté.
Tant qu’à Man, elle le croit en amour avec Jocelyne encore d’après
ce que Josce lui raconte en revenant de ses cours. Et moi dans tout ça
? Je suis très perplexe. Quel genre est-il ce Ken ? J’y repense
assez souvent ayant eu un si fort béguin pour lui, et chaque fois
que je le voyais on se contentait d’un sourire gêné qui me
faisait penser qu’il l’avait aussi, mais n’ayant eu aucun véritable
contact qui pourra le dire ?
Un autre que je préfère
oublier.
Vendredi 24 novembre
Ici tous les dimanches se ressemblent,
étude, étude, étude. Nous passons tous nos dimanches
à étudier. Réjane et moi sommes allées chez
tante Fernande pour souper, oncle Lucien travaillait. Ma tante semble à
bout de nerfs. Les enfants tous des garçons sont devenus insupportables
parce qu’elle leur en accorde trop. Je constate souvent à causer
avec les gens combien le mariage semble difficile et peut-être aussi
décevant. Ma tante trouve que mon oncle ne l’aide pas du tout en
rien, elle fait toute seule l’éducation des enfants, en plus du
ménage et cuisine. Je regarde autour de moi et que vois-je, déception
et souffrance ! En plus je choisis un milieu ou l’on parlera toujours de
maladie et souffrance.
Et moi qui cherche la joie et le bonheur,
devrai-je me contenter de celui que je porte à l’intérieur
de moi ?
Rencontre
dans l'autobus : Tom aux yeux verts.
Vendredi 29 novembre
J’ai attendu jusqu'à ce jour
avant de prendre une décision, et ce soir en les voyant toutes partir
pour la fin de semaine la tentation était encore plus forte d’aller
chez moi. Je songeais à mes parents, mes neveux, la probabilité
de rencontrer Ken, mais je suis quand même restée pour étudier.
J’ai fait le choix que je croyais quand même le meilleur, et était-ce
la récompense de mon choix, j’ai fait une rencontre inoubliable,
une rencontre que j’avais tant espérée depuis longtemps,
mais laquelle je ne croyais plus possible étant donné les
circonstances qui nous éloignaient maintenant. Et maintenant je
sais que cette rencontre serait possible très souvent si je le voulais.
Que de souvenirs me reviennent en mémoire ce soir depuis que je
l’ai vu ? Par un recul du temps j’avais 19ans, je me suis revue montant
dans un autobus, m’assoyant dans le premier banc en avant. Je jetais un
coup d’œil discret aux passants et il m’est soudainement apparu. Il me
regardait comme s’il voulait me connaître. Il m’a été
tout de suite sympathique, il me faisait penser à Paulo, il avait
à peine 25 ans et il conduisait cet autobus. Par la suite je suis
remontée très souvent dans cet autobus pour le retour de
mon école. Et il a commencé à me parler, un peu plus
chaque jour. Nous causions de toutes sortes de sujets surtout de l’enseignement,
il me dit que je semblais bien jeune pour enseigner et je lui dis qu’il
me semblait jeune pour conduire un gros autobus, nous avons ri tous les
deux. Ma sympathie grandissait toujours et je crus que je l’aimais, j’étais
heureuse jusqu'à ce que je vive l’annulaire à son doigt.
Je le vis encore très souvent, les mêmes causeries plaisantes,
mais plus d’illusions pour la folle imagination de Carmen. Puis ce fut
la fin des classes et je cessai de le voir. J’y pensai souvent parfois
avec un peu d’amertume, d’autres fois comme un rêve inconscient ou
le héros avait toujours les mêmes yeux verts, si verts. Et
ce soir se sont les mêmes yeux qui m’ont frappé. Voici que
je raconte l’histoire. J’étais allée reconduire Irène
et Lucie à l’autobus. Je causais avec Irène quand je sentis
que quelqu’un me regardait avec insistance. Je levai les yeux les yeux
et avant même que j’eus le temps de le reconnaître il me sourit
et me dit bonsoir. Je répondis Bonsoir, est-ce que ma figure changea
? je ne sais. Je sais seulement que je dis Tom presque à haute voix.
Lucie qui était au comptoir se retourna et dit : Tu le connais
? Je répondis bien simplement oui, et je continuai à causer
avec Irène le cœur un peu plus battant. Et lui tout en vérifiant
ses billets me regardait et je ne pus définir ce qu’il y avait dans
le regard. Ses yeux du même vert n’avaient pas la même nuance,
cette nuance
irrésistible qui me les faisait
aimer. Mais c’était bien Tom, l’Homme vers qui je m’étais
sentie le plus attirée dans toute mon adolescence. Je ne l’avais
pas revu depuis deux ans et je le trouvai changé beaucoup. Plus
gros, mais aussi beau ayant gardé son air mi-enfantin, mi-sérieux.
Je dis bonjour à Irène et à Lucie et est-ce une illusion
qu’il ne m'a jamais quitté des yeux ? Je marchai dans la ville gardant
en ma pensée le souvenir de la nouvelle apparition du Tom d’autrefois.

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