Histoire non respectueuse... Date : 06/01/03

J'ai appris beaucoup de choses dans ce papier, notamment sur l'histoire des USA (§2) Georges Magnier

Tous les Courriels de novembre, en 08 pages:  http://attac.org/attacinfo/attacourriel25.pdf

Dans ce numéro :
1 Les Etats-Unis en guerre (Par Eduardo Galeano) Pour vendre ses guerres, le Marché sème la peur. Et la peur crée un climat. La télévision fait tout son possible pour que les tours de New York continuent à tomber chaque jour. Que reste-t-il de la panique à l'anthrax? Une enquête officielle qui n'a pour ainsi dire apporté aucune explication sur ces lettres assassines, et surtout une spectaculaire augmentation du budget militaire des États Unis. Et les milliards que ce pays destine à l'industrie de la mort n'ont rien d'une bagatelle. Avec moins d'un mois et demi de ces dépenses, on pourrait mettre fin à la misère du monde, si les petits calculs des Nations Unies disent vrai.

2. Histoire d'une histoire des Etats-Unis (Par Thierry Discepolo)L'histoire de ce livre en France est d'abord celle de son absence.
Édité en 1980 aux États-Unis, il a fait l'objet en 22 ans de 5 rééditions. Le titre existe en version courte (seulement le xxe siècle) ; et en version lue par Matt Damon, jeune star du cinéma américain. Vendu à plus de 950 000 exemplaires aux États-Unis (et 65 000 en Angleterre), ce livre est traduit depuis 20 ans en espagnol, en russe et en japonais ; les éditions turques, arabes, roumaines et grecques sont en cours ; l'Italie et l'Allemagne boudent semble-t-il plus encore que la France.

3. Impasse argentine et capital financier (Par Michel Lasserre) Aujourd'hui, l'Argentine est dans une situation telle qu'elle ne peut plus payer ses dettes sans le recours à un crédit supplémentaire. Or, elle n'aura plus de crédit si elle ne paye pas ses remboursements.
L'Argentine est donc dans une impasse, elle est de fait en situation de faillite.

4. Le Venezuela paysan (Par Teodoro Guevara et Arturo Alvarez Vega)
Savez-vous qu'à elles seules huit familles du pays possèdent conjointement plus de 150 mille hectares de terrains ? Pouvez-vous seulement l'imaginer ? Cela représente à peu près l'équivalent de dix-huit fois la surface de la capitale du Venezuela, Caracas, où vivent plus de 4 millions de personnes. Savez-vous de surcroît que ces immenses biens fonciers demeurent la plupart du temps non cultivés, alors qu'ils sont situés dans les régions les plus fertiles du pays ? Eh bien, ce sont ces familles qui ont pris la tête de l'opposition à la Loi sur les terres et le développement agraire

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Illustration uniquement disponible dans la version PDF.

" A force de bouffer de la merde " (Charb) http://france.attac.org/site/recueil.php?idpage=75


1- Les Etats-Unis en guerre

Par Eduardo Galeano. Ecrivain uruguayen

Traduction. coorditrad@attac.org traducteurs bénévoles (*)

Temps de peur. Le monde vit dans la terreur, et la terreur se déguise: elle serait l'ouvre de Saddam Hussein, un acteur plutôt fatigué de tenir depuis si longtemps le rôle de l'ennemi, ou celle d'Oussama Ben Laden, un professionnel de la terreur.

Le véritable auteur de la panique planétaire s'appelle le Marché. Et ce personnage n'a rien à voir avec ce lieu sympathique du quartier où l'on va chercher ses fruits et ses légumes. C'est un terroriste sans visage, tout puissant, omniprésent tout comme Dieu, et qui croit être, lui aussi, éternel. Ses nombreux interprètes préviennent que "le Marché est nerveux", et ils avertissent qu'"il ne faut pas irriter le Marché".

Son luxuriant curriculum criminel sème la panique. Il a passé sa vie à voler de la nourriture, à détruire des postes de travail, à prendre des pays en otage et à fabriquer des guerres.

Pour vendre ses guerres, le Marché sème la peur. Et la peur crée un climat. La télévision fait tout son possible pour que les tours de New York continuent à tomber chaque jour. Que reste-t-il de la panique à l'anthrax? Une enquête officielle qui n'a pour ainsi dire apporté aucune explication sur ces lettres assassines, et surtout une spectaculaire augmentation du budget militaire des États Unis. Et les milliards que ce pays destine à l'industrie de la mort n'ont rien d'une bagatelle. Avec moins d'un mois et demi de ces dépenses, on pourrait mettre fin à la misère du monde, si les petits calculs des Nations Unies disent vrai.

Chaque fois que le Marché donne un ordre, l'alarme rouge de la machine à mesurer le danger clignote, et tout soupçon devient évidence. Les guerres préventives tuent au cas où... et sans preuves. Et maintenant, c'est le tour de l'Iraq. Ce pays déjà châtié a encore été condamné. Et les morts sauront pourquoi : l'Iraq, c'est la seconde réserve mondiale de pétrole, justement ce dont le Marché a besoin pour assurer assez de combustible au gaspillage de la société de consommation.

Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est le plus craint ? Les puissances impériales monopolisent, par droit naturel, les armes de destruction massive. A l'époque de la conquête de l'Amérique, à la naissance de ce que l'on appelle aujourd'hui le Marché global, la variole et la grippe ont tué beaucoup plus d'indiens que l'épée ou l'arquebuse. La brillante invasion européenne doit beaucoup aux bactéries et aux virus. Des siècles plus tard, ces alliés providentiels se sont transformés en armes de guerre aux mains des grandes puissances. Une poignée de pays monopolise les arsenaux biologiques. Il y a une vingtaine d'années, quand les Kurdes avaient mauvaise presse et que l'Occident était aux petits soins avec Saddam Hussein, les Etats-Unis lui permirent de lancer des bombes à épidémies contre les kurdes, mais il faut savoir que ces armes bactériologiques avaient été fabriquées à partir de souches achetées à une société de Rockville, dans le Maryland.

En matière militaire, comme pour tout le reste, le Marché prêche la liberté, mais la concurrence ne lui plaît pas beaucoup. L'offre se concentre dans les mains de quelques uns, au nom de la sécurité universelle. Saddam Hussein fait très peur. Le monde tremble. Terrible menace: l'Iraq pourrait se remettre à utiliser les armes biologiques et, beaucoup plus grave, pourrait bien finir par se procurer des armes nucléaires. L'humanité ne peut autoriser un tel danger, proclame le dangereux président du seul pays au monde ayant utilisé des armes nucléaires pour assassiner des populations civiles. Est-ce l'Iraq qui a exterminé les vieillards, les femmes et les enfants d'Hiroshima et de Nagasaki?

Paysage du nouveau millénaire: des gens qui ne savent pas s'ils trouveront de quoi manger le lendemain, ou s'ils se retrouveront sans toit ou comment ils feront pour survivre en cas de maladie, d'accident; des gens qui ne savent pas si le lendemain ils perdront leur travail ou s'ils seront obligés de travailler le double pour la moitié de leur salaire, ou si leur retraite sera dévorée par les requins de la bourse ou par les rats de l'inflation; des citoyens qui ignorent s'ils vont se faire attaquer au coin de la rue, si on va cambrioler leur appartement ou si un désespéré leur plantera un couteau dans le ventre; des paysans qui ne savent pas si du jour au lendemain, ils se retrouveront sans terre à travailler et des pêcheurs qui ignorent s'ils vont trouver des rivières ou des mers encore non empoisonnées; des personnes et des pays qui se demandent comment ils vont faire pour payer leurs dettes multipliées par l'usure. Ces terreurs au quotidien seraient-elles l'ouvre d'Al-Qaida ?

L´économie commet des attentats dont on ne parle pas dans les journaux: elle fait mourir de faim 12 enfants par minute. Dans l'organisation terroriste du monde, protégée par le pouvoir militaire, il y a un milliard d'affamés chroniques et six cents millions de gros. Monnaie forte, vie fragile: l'Equateur et le Salvador ont adopté le dollar comme monnaie nationale, mais la population prend la fuite. Jamais auparavant ces pays n'avaient produit tant de pauvreté et autant d'émigrants. La vente de chair humaine à l'étranger engendre le déracinement, la tristesse et les devises. La somme d'argent que les Equatoriens, obligés de chercher du travail ailleurs, ont envoyé dans leur pays en 2001, est supérieure à la somme totale générée par les exportations de bananes, de crevettes, de thon, de café et de cacao.

L'Uruguay et l'Argentine expulsent leurs jeunes enfants. Les émigrants, petits-fils d'immigrants, laissent derrière eux des familles déchirées et des mémoires douloureuses. "Docteur, on m'a brisé l'âme": mais dans quel hôpital guérit-on cela? En Argentine, un concours télévisé offre chaque jours le gros lot le plus convoité: un emploi. Les queues sont impressionnantes. L'émission choisit les candidats, et les téléspectateurs votent. Celui qui pleure le plus et qui fait le plus pleurer les spectateurs obtiendra le poste. Sony Pictures vend actuellement cette formule à succès dans le monde entier.

Quel emploi? N'importe lequel. Pour combien? Pour n'importe quoi et n'importe comment. Le désespoir de ceux qui cherchent du travail, et l'angoisse de ceux qui craignent de perdre le leur, les oblige à accepter l'inacceptable. Dans le monde entier, s'impose "le modèle WalMart". Numéro un aux Etats-Unis, cette entreprise interdit les syndicats et pratique les rallonges d'horaires sans payer les heures supplémentaires. Le Marché exporte son lucratif exemple. Plus les pays souffrent, plus il est facile de transformer le droit du travail en un tas de paperasses inutiles et plus il devient aisé de sacrifier d'autres droits. Les pères du chaos vendent l'ordre. La pauvreté et le chômage multiplient la délinquance qui, elle, sème la panique, et c'est dans ce bouillon de culture que le pire fleurit. Les militaires argentins, qui s'y connaissent en matière de crime, sont invités à combattre le crime: qu'ils viennent nous sauver de la délinquance !, réclame à grands cris Carlos Menem, un fonctionnaire du Marché qui s'y connaît suffisamment en délinquance pour l'avoir pratiquée comme personne alors qu'il était président du pays.

Des coûts extrêmement bas, des profits incommensurables, et un contrôle zéro: un pétrolier se brise en deux et la marée noire meurtrière attaque les côtes de la Galice et bien au-delà.

L'affaire la plus rentable du monde génère des fortunes et des désastres "naturels". Les gaz empoisonnés produits par le pétrole sont la principale cause du trou de la couche d'ozone, qui a déjà atteint les dimensions des Etats-Unis, et de la folie du climat. En Ethiopie et dans d'autres pays africains, la sécheresse condamne des millions de personnes à la pire des famines de ces vingt dernières années, tandis que l'Allemagne et d'autres pays européens viennent de subir des inondations qui ont constitué la pire catastrophe de ces cinquante dernières années. Et en plus, le pétrole provoque des guerres. Pauvre Iraq.

Brecha. Uruguay, décembre 2002 Grano de Arena. Contact pour cet article informativo@attac.org

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2- Histoire d'une histoire des Etats Unis Par Thierry Discepolo. Editeur (Agone)

Synthèse d' "Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours" par Howard Zinn

Tous les livres ont leur petite histoire, qui n'intéresse le plus souvent que ceux qui les ont fait. Mais la petite histoire de ce livre d'histoire est un peu plus longue déjà. Et certains de ses éléments nous ont paru mériter la publicité.

L'histoire de ce livre en France est d'abord celle de son absence. Édité en 1980 aux États-Unis, il a fait l'objet en 22 ans de 5 rééditions. Le titre existe en version courte (seulement le xxe siècle) ; et en version lue par Matt Damon, jeune star du cinéma américain. Vendu à plus de 950 000 exemplaires aux États-Unis (et 65000 en Angleterre), ce livre est traduit depuis 20 ans en espagnol, en russe et en japonais ; les éditions turques, arabes, roumaines et grecques sont en cours ; l'Italie et l'Allemagne boudent semble-t-il plus encore que la France.

Sa parution, en 1980 donc, a aussitôt fait l'objet d'une recension de deux pages dans Le Monde diplomatique. Et puis le livre a attendu 20 ans que les éditions Agone soient assez solides pour envisager la traduction et l'édition d'une somme de 812 pages - qui a mobilisé une équipe de six personnes. Une chose est certaine, l'acquisition des droits de ce livre auprès de l'éditeur américain ne s'est pas faite dans une ambiance de concurrence.

Pourquoi une si longue négligence ? Les États-Unis sont-ils un pays qui compte pour si peu dans l'histoire politique et sociale, économique et commerciale, intellectuelle et artistique du monde contemporain ?

Personne n'a dit aussi bien que Pierre Nora, directeur de la collection " Bibliothèque des histoires " chez Gallimard, les raisons pour lesquelles l'édition française répugne à publier de tels ouvrages - il s'agissait alors de L'Âge des extrêmes, d'Éric Hobsbawm, mais rien n'a changé depuis : " Tous les éditeurs, bon gré mal gré, sont bien obligés de tenir compte de la conjoncture intellectuelle et idéologique dans laquelle s'inscrit leur production. Or, il y a de sérieuses raisons de penser qu'un tel livre apparaîtra dans un environnement intellectuel et historique peu favorable. D'où le manque d'enthousiasme à parier sur ses chances. La France ayant été le pays le plus longtemps et le plus profondément stalinisé, la décompression, du même coup, a accentué l'hostilité à tout ce qui, de près ou de loin, peut rappeler cet âge du philosoviétisme ou procommunisme de naguère, y compris le marxisme le plus ouvert. Cet attachement, même distancié, à la cause révolutionnaire [conclut Nora], Éric Hobsbawm le cultive certainement comme un point d'orgueil, une fidélité de fierté, une réaction à l'air du temps ; mais en France et en ce moment, il passe mal. "

Conjoncture intellectuelle et idéologique des plus défavorable en effet. Mais disons-le autrement : celle de l'amalgame entre recul de la critique marxiste du capitalisme et effondrement de l'Union soviétique. Un amalgame bien utile au nouvel ordre néolibéral pour invalider toute croyance en la possibilité d'une organisation sociale qui se fonde sur le bonheur du plus grand nombre décidé par eux-mêmes plutôt que sur la liberté individuelle de faire des profits et de s' accomplir dans la seule consommation.

C'est la raison pour laquelle, justement, dans notre pays où la parole publique la mieux autorisée et la plus bavarde semble celle de renégats communistes, maoïstes ou trotskistes, il nous a paru particulièrement urgent de donner à lire l'attachement de Howard Zinn à une cause révolutionnaire qu'il " cultive comme un point d'orgueil, une fidélité de fierté, une réaction à l'air du temps ". Une attitude d'autant plus singulière qu'elle débarque d'un pays qui ne nous a plus
trop habitués à de telles exportations.

" Une autre histoire " aurait pu donc être le titre de ce livre. Un livre qui rassemble d'ailleurs à peu près tout ce qui fait la ligne éditoriale d'Agone, notamment dans ce travail d'éducation populaire qui doit plus à la contre information qu'à la vulgarisation. Car Zinn ne livre pas seulement une synthèse de la connaissance historique disponible sur le pays qui prend le plus de place dans le quotidien de bien des gens qui s'en priveraient volontiers. On trouve déjà sur le
marché une telle production savante et semi-savante. Mais il s'agit là des versions officielles d'une histoire des dominants par leurs clercs - telles que déclinée par un universitaire de presse comme Nicole Bacharan (attachée au Monde et à France Inter), avec son Good morning America : ceux qui ont inventé l'Amérique (paru en 2001) -, qui installent le lit sur lequel peut croître et se développer la production d'une vieille ganache réactionnaire comme Jean-Francois Revel - son L'Obsession anti-américaine : son fonctionnement, ses causes, ses inconséquences vient de paraître, aussitôt loué par le
quotidien du soir Le Monde.

Plutôt donc qu'une actualisation de ces histoires du point de vue du pouvoir, Zinn en propose comme le contre-modèle, l'antidote qui nous permet de nous soigner de l'histoire écrite par les dominants pour désespérer les dominés de tout changement.

Au moment de chercher comment illustrer en quelques phrases cette chose, " l'histoire écrite par les dominants ", n'étant en rien historien des États-Unis ni de quelqu'autre territoire ou période que ce soit, je me suis trouvé bien embêté. Mais on peut toujours faire confiance en la brutalité bestiale de quelque journaliste pour nous fournir régulièrement des illustrations comme sur un plateau. Ainsi Jean-Marie Colombani, directeur du Monde, expliquait-il le 11 septembre dernier à un interlocuteur africain que la destruction du World Trade Center était " un événement historique " tandis que le génocide rwandais n'était qu'une " guerre civile africaine ".

Autrement dit, que le premier concernait l'histoire du monde et pas le second ; que l'un est une leçon d'histoire et l'autre un détail de l' histoire. Au moins, c'est clair. Déclinaison d'un réflexe du sujétion totale au puissant que le même patron de presse avait ramassé le lendemain des attentats dans la formule : " Nous sommes tous américains. " Autrement dit, la douleur des dominants ne nous concerne pas au même titre que celle de dominés. On ne porte que le deuil des
maîtres et seule la mort des maîtres est inscrite dans les chroniques.

Voilà comment l'histoire avance en oubliant le plus grand nombre.

On voit bien toute la difficulté de raconter cette histoire des oubliés de l'histoire. Et notamment dans l'usage des sources, celles que, justement, Zinn invoque : sources non officielles, ignorées ou sous-utilisées, telles que récits d'esclaves, confessions de prisonniers, correspondance de soldats, journaux de femmes, biographies et autobiographies, auditions publiques et autres documents de la tradition orale. (Ce qui n'empêche pas Zinn d'utiliser également des pièces majeures telles que les Pentagon Papers, rédaction de l'histoire du Vietnam par le département de la Défense, document confidentiel de 7 000 pages qui fut rendu public par deux employés scandalisés par leur expérience directe de la guerre et
horrifiés par ce que l'Amérique faisait subir au peuple vietnamien.
Ils photocopièrent le document en juin 1971 avant d'en envoyer copie à quelques membres du Congrès et au New York Times. Ce fut, vous l' imaginez, un tollé général.)
Zinn ne tient pour histoire que l'histoire du plus grand nombre. Il prend acte du fait que seule la mémoire des défaites (souvent) et des victoires (rares) des dominés nous enseignent correctement le monde tel qu'il va. Au contraire de la mémoire des États, qui n'est qu'une mémoire déformée selon les exigences idéologiques (ou les modes publicitaires), version aplatie d'un présent toujours renouvelé qui nie l'impact du passé sur le présent et le futur, Zinn propose de rendre à l'histoire son potentiel de subversion, forçant le lecteur à tirer les leçons du passé. Pour croire qu'un autre monde est possible, ça aide bien de savoir que d'autres en ont rêvé avant, et que leur échec n'a rien d'inéluctable mais, au contraire, qu'il fut l'objet d' une mobilisation de tous les instants par ceux qui avaient des intérêts rien moins que théoriques à ce que rien ne change : des questions d'argent, de pouvoir, de confort dans un ordre social soutenu par les lois, la manipulation de l'opinion et la force physique.
La synthèse que constitue cette histoire populaire s'appuie sur les recherches hétérodoxes accomplis depuis les années 1970 sur l' esclavage, sur la période révolutionnaire, sur la formation du capitalisme d'État, sur l'expansion territoriale - que l'on connaît sous le nom poétique de " conquête de l'Ouest " mais qu'il convient de voir comme la première étape de l'impérialisme américain. Une synthèse qui exprime clairement le point de vue - habituellement occulté - de l'opprimé, que l'histoire officielle traite en figurant : l'Indien, le Noir, le Chicano, le Portoricain, le simple soldat, le prisonnier
politique, le gréviste, le sans-travail et la femme.
Et puisqu'il ne s'agit que de faire l'histoire du plus grand nombre, Zinn tisse principalement son récit du portrait des mouvements populaires et de leur mode d'action : grèves paysannes et ouvrières, boycottage par des locataires et des consommateurs, formes multiples de désobéissance civile (notamment dans l'armée), organisations de base, alternative au bipartisme démocrate-républicain, luttes syndicales, actions communautaires, etc.
Voyons comment Zinn s'y prend pour inverser cette image d'une histoire tissées de figures héroïques et de hauts faits d'armes, de scènes édifiantes et de personnalités exemplaires.
Pour la plupart d'entre-nous, parmi les événements les plus lyriques de l'histoire américaine en ses débuts de constitution territoriale figure sans doute le drame héroïque de la chute de Fort Alamo. À propos de cette période, Zinn raconte comment, en 1836, après un soulèvement organisé avec le soutien des États-Unis, le Texas se sépare du Mexique avant d'être intégré à l'Union ; comment l'envoi d'un détachement sur la frontière sud du Texas provoque, au printemps 1846, l'incident militaire qui déclenche la guerre de conquête tant souhaitée par les élites américaines, leur permettant d'annexer la
moitié du Mexique et d'acheter le Nouveau-Mexique et la Californie - ce qui autorisa la conclusion : " Nous ne prenons rien par conquête, Dieu merci. " Mais pas de Fort Alamo dans cette histoire-là.
Soit dit en passant, les amateurs de western vont être déçus, la chose tant représentée à l'écran ne semble pas même avoir existé. Sur la période et le territoire concerné, Zinn n'expose qu'une lutte des classes entre fermiers et propriétaires terriens sous le titre " L' autre guerre civile ". Non que des shérifs n'aient jamais exercés " au nom de la loi ", pistolets à la ceinture ; et que des indiens aient scalpés de pauvres colons ; et que la cavalerie ; etc. Mais tout cela
n'est que la partie pittoresque pour l'accaparement d'un territoire suivant le même ordre depuis l'indépendance : celui de l'augmentation des richesses des plus riches.
De la même manière, pour la période moderne, les passionnés de guerre des gangs resteront sur leur faim : le mot même de " mafia " est absent du livre. Non que toute organisation occulte gérant sur une base raciale ou ethnique les jeux, la prostitution, les trafics, le raquet, etc. aient jamais existé, mais, encore une fois, il ne s'agit que de la surface du processus d'intégration violente des derniers arrivants dans un pays où le formalisme de la loi a toujours inscrit l'injustice sociale dans le quotidien du plus grand nombre.
Non que l'histoire que raconte Zinn ne soit pas haute en couleurs ! Elle se déroule au contraire dans le bruit et la fureur. D'autres couleurs toutefois. Moins de cartes postales.
Prenons trois héros martiaux du panthéon américain de la Seconde Guerre mondiale : MacArthur, Eisenhower et Patton. Ils font leur première apparition dans l'histoire américaine au printemps et à l'été 1932, alors que " la colère des vétérans de la Première Guerre mondiale, qui se retrouvent au chômage sans pouvoir nourrir leurs familles, est à l'origine de la marche de la Bonus Army sur Washington. Les anciens combattants, brandissant les certificats gouvernementaux qui leur garantissaient des indemnités (ou bonus), réclament qu'on les leur verse sur-le-champ tant ils en ont désespérément besoin. Seuls ou accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants ; au volant de vieilles voitures épuisées ; en passagers
clandestins à bord des trains de marchandises ou en auto-stop, ils arrivent de partout à Washington. Des mineurs de Virginie-Occidentale ; des tôliers de Columbus (Géorgie) ; des chômeurs polonais de Chicago. Une famille - le mari, la femme et leur enfant de trois ans - met trois mois, passant d'un train de marchandises à l'autre, pour venir de Californie. Chief Running Wolf, un Mescalero sans travail, arrive du Nouveau-Mexique en costume traditionnel, avec arc et flèches. Ils sont plus de vingt mille à camper sur l'autre rive du Potomac, en face du Capitole, dans les marais de l'Anacostia où, comme l'écrivit John Dos Passos, " les hommes [couchaient] dans des abris faits de vieux journaux, de boîtes de carton, d'emballages, de plaques de fer-blanc ou de toiles goudronnées, bref, toutes sortes de constructions mal fichues, d'abris contre la pluie fabriqués à partir de ce qu'ils [trouvaient] dans la décharge municipale. " Le décret destiné à autoriser le paiement des fameuses indemnités est voté par la Chambre puis rejeté par le Sénat. Certains vétérans, découragés,
lèvent le camp. La plupart restent sur place, les uns occupent des bâtiments officiels, les autres demeurent dans les marais de l' Anacostia. Finalement, le président Hoover ordonne à l'armée de les chasser. Quatre escadrons de cavalerie, quatre compagnies d' infanterie, une batterie de mitrailleuses et six tanks se regroupent> près de la Maison-Blanche. Le général Douglas MacArthur est chargé de l'opération, secondé par le major Dwight Eisenhower. Parmi les officiers, un certain George Patton. Après avoir fait parader ses troupes le long de Pennsylvania Avenue, MacArthur utilise les gaz
lacrymogènes pour expulser les vétérans des vieux bâtiments qu'ils occupaient avant d'y mettre le feu. L'armée traverse ensuite le pont pour rejoindre Anacostia. Des milliers d'anciens combattants s' enfuient avec femmes et enfants pour échapper aux bombes lacrymogènes. Les soldats incendient quelques baraques ; tout le campement est bientôt la proie des flammes. "
De MacArthur et de Patton, on n'entendra plus parler. Quant à Eisenhower, son retour est l'occasion d'évoquer le rejet de la demande de grâce pour les époux Rosenberg ; l'expédition de milliers de soldats au Liban, qu'il lance, en 1958, pour s'assurer que le gouvernement pro-américain en place ne serait pas renversé par une révolution et pour conserver une présence armée dans cette région riche en pétrole. Puis, au printemps 1960, l'autorisation secrète qu' il donne à la CIA d'armer et d'entraîner des exilés cubains anticastristes au Guatemala en vue d'une future invasion de l'île - un
programme que mena à bien (si l'on peut dire) par Kennedy.
Dans ce livre, qui offre une vision d'ensemble de la politique intérieure et étrangère des États-Unis, du débarquement de Christophe Colomb en 1492 aux plus étranges élections de toute l'histoire du pays et à la dernière intervention militaire américaine sous la bannière de la " guerre au terrorisme ", les exemples abondent qui éclairent singulièrement les engagements américains de ces dernières années dans des guerres humanitaires :
- " Les États-Unis se sont opposés, au début du xixe siècle, à la révolution que les Haïtiens avaient déclenchée contre la France pour obtenir leur indépendance.
- Les États-Unis ont provoqué une guerre avec le Mexique à l'issue de laquelle ils se sont emparés de la moitié du territoire mexicain.
- Sous prétexte d'aider Cuba à se débarrasser de la tutelle espagnole, les États-Unis s'y installent en imposant une base militaire, leurs investissements financiers et un droit d'intervention dans les affaires intérieures du pays. (Dans le mouvement, les États-Unis se sont également approprié Hawaii, Porto Rico et Guam.)
- Les États-Unis ont mené une guerre sans merci aux Philippins En février 1899, les Philippins se soulevèrent contre les États-Unis, qui ont mit trois ans pour venir à bout de cette révolte, engageant 70 000 soldats et subissant des milliers de pertes au combat. Howard Zinn rapporte ces propos de janvier 1900 devant le Sénat : " Monsieur le président, la franchise est maintenant de mise. Les Philippines sont à nous pour toujours. [.] Et à quelques encablures des Philippines se
trouvent les inépuisables marchés chinois. Nous ne nous retirerons pas de cette région. [.] Nous ne renoncerons pas à jouer notre rôle dans la mission civilisatrice à l'égard du monde que Dieu lui-même a confié à notre race. Le Pacifique est notre océan. [.] Vers où devons-nous nous tourner pour trouver des consommateurs à nos excédents ? La géographie répond à cette question. La Chine est notre client naturel.
[.] Les Philippines nous fournissent une base aux portes de tout l'Orient. Nulle terre en Amérique ne surpasse en fertilité les plaines et les vallées de Lusón. Le riz, le café, le sucre, la noix de coco, le chanvre et le tabac. [.] Le bois des Philippines peut fournir le monde entier pour le siècle à venir. L'homme le mieux informé de l'île m'a dit que sur une soixantaine de kilomètres la chaîne montagneuse de Cebu était pratiquement une montagne de charbon. J'ai ici une pépite d
'or trouvée telle quelle sur les rives d'une rivière des Philippines. "
Poursuivons.

>

> - Les États-Unis ont " ouvert " le Japon au commerce américain à grand

> renfort de navires de guerre et de menaces. Ils ont instauré la

> politique de la " porte ouverte " en Chine, de manière à s'assurer de

> bénéficier des mêmes opportunités que les autres puissances

> impérialistes dans l'exploitation des ressources chinoises.

>

> - Toujours pour maintenir la " porte ouverte ", les États-Unis ont

> envoyé des troupes à Pékin pour affirmer avec d'autres nations la

> suprématie occidentale sur la Chine. Ces troupes étaient sur place

> depuis bientôt trente ans " quand les États-Unis s'engageaient dans la

> Seconde Guerre mondiale.

>

> - Alors qu'ils exigent que le marché chinois soit totalement ouvert au

> commerce, les États-Unis insistaient en revanche pour que l'Amérique

> latine reste un marché fermé - fermé à tous sauf aux États-Unis,

> évidemment.

>

> " En bref [conclut Zinn] si la motivation officielle de l'entrée en

> guerre des États-Unis [fut jamais] le souci de défendre le principe de

> non-intervention dans les affaires d'autrui, l'histoire du pays

> permettait déjà de douter de leur compétence en ce domaine " dès avant

> 1940.

>

> Quelle autre intervention désintéressée trouvons-nous à la suite de l'

> indubitable Seconde Guerre mondiale ?

>

> - Ni en Grèce en 1947 pour aider les Britanniques à contrôler une

> guérilla de gauche qui se développe contre la dictature de droite qu'

> ils y ont instaurée.

>

> - Ni en 1950 en Corée dans une guerre qui fit deux millions de morts.

> Ni en 1953 en Iran, où un coup d'État orchestré par la CIA installe le

> Chah. Ni en 1954 au Guatemala, où des mercenaires, entraînés par la

> CIA au Honduras et au Nicaragua, renversent, avec l'aide de l'aviation

> américaine, le gouvernement le plus démocratique que le Guatemala ait

> jamais connu.

>

> - Ni en 1958 au Liban. Ni en 1961 à Cuba, où plus de mille exilés

> cubains, armés et entraînés par la CIA, débarquent dans la Baie des

> Cochons avec l'espoir de provoquer une rébellion contre le

> gouvernement castriste.

>

> - Ni entre 1961 et 1972 au Vietnam, et au Laos et Cambodge puis en

> Indonésie et en République dominicaine.

>

> - Ni dans les années 1970 et 1980, dans divers coins du Proche-Orient,

> au Chili puis Salvador et au Nicaragua et sur la minuscule île de la

> Grenade.

>

> J'en passe.

>

> Puis nous voilà en 1991, quand les États-Unis volent au secours de la

> souveraineté du Koweït et déclarent la guerre à l'Irak - sans rapport

> avec le contrôle d'une partie des ressources pétrolières du Golfe ? Et

> tout de suite en 1999, avec la première guerre humanitaire officielle

> des États-Unis : le bombardement en mars 1999, par l'OTAN, du Kosovo

> et de la Serbie.

>

> Demandons-nous encore une fois " si la motivation officielle de l'

> entrée en guerre des États-Unis [fut jamais] le souci de défendre " un

> quelconque principe moral : " l'histoire du pays permet de douter de

> leur compétence en ce domaine ".

>

> Quant à l'histoire intérieure, Zinn développe tout au long des siècles

> une variation sur le thème de la division des intérêts des dominés, du

> développement des fragmentations sociales dans un pays où les

> distinctions de classe recoupent celles des origines nationales, des

> races et des sexes. Cet usage habile, par le pouvoir, de l'opposition

> des dominés, culmine avec le système du bipartisme, qui s'installe à

> la tête de l'État fédéral dès l'Indépendance, et la gestion des

> conflits par la nature double de l'État fédéral-national, qui prend

> chaque fois le partie des plus riches - y compris au mépris de la loi

> même.

>

> Prenons trois exemples.

>

> Ce modèle de gestion de l'ordre social prend forme dès la période

> pré-révolutionnaire et fut appliqué dans la mise en place de la

> rhétorique indépendantiste. Quel problèmes se posent alors aux élites

> américaines : mater les rébellions populaires ; détourner les paysans

> en mal de terre d'une alliance avec les Anglais ; canaliser la

> résistance aux impôts de la Couronne ; accorder aux ouvriers

> spécialisés et aux artisans des concessions économiques et des

> libertés politiques qui ne remettent pas en cause les structures de

> classe.

>

> Ainsi, les terres confisquées aux propriétaires fidèles aux Anglais

> sont redistribuées de manière à fournir une double opportunité aux

> chefs révolutionnaires. Autrement dit, selon Zinn : " S'enrichir, eux

> et leurs amis, et distribuer des lopins aux petits fermiers afin de s'

> assurer de leur soutien le plus large au nouveau régime politique.

> Cette attitude va devenir une des principales caractéristiques de la

> nouvelle nation. Une nation si extraordinairement riche qu'elle

> pouvait produire la classe dirigeante la plus fortunée qu'on a jamais

> vue tout en conservant assez de moyens pour satisfaire une petite

> bourgeoisie destinée à servir de digue entre les plus fortunés et les

> plus pauvres. "

>

> Zinn " résume ainsi la nature sociale de la Révolution : "Le fait que

> les milieux les plus humbles aient participé à la bataille ne doit pas

> masquer que cette bataille était globalement une lutte pour les

> fonctions et le pouvoir opposant les membres d'une même classe

> fortunée : les nouveaux contre les anciens. " Avant comme après, l'

> homme le plus riche d'Amérique était George Washington et les

> conditions de vie des pauvres blancs sont restées quasiment

> inchangées.

>

> L'armée d'indépendance elle-même résume cette situation : des fermiers

> à qui leurs propriétaires avaient promis l'accession à la propriété,

> mais qui, enrôlés, ont découvert que leur solde n'était pas loin de 10

> fois inférieure à celle de officiers ; puis ils ont assisté à l'

> enrichissement des fournisseurs officiels de l'armée.

>

> (On voit là les prémisses d'une tradition américaine qui produit les

> fameux " barons voleurs ", ces rois de la banque et du rail qui ont

> refondé le capitalisme au cours du xixe siècle. Zinn fait ainsi le

> portrait de la banque Morgan, l'une de celles qui prêtent de l'or à l'

> État : " Pendant la guerre de Sécession, Morgan achète à un arsenal

> militaire 5 000 fusils à 3,5 dollars pièce, qu'il revend à un général

> 22 dollars chaque. Ces fusils défectueux auraient arraché le pouce de

> tout soldat qui s'en serait servi. Le fait est signalé dans un obscur

> rapport du Congrès, mais il se trouve un juge fédéral pour objecter

> que cet échange commercial s'appuyait sur un contrat juridiquement

> valide. ")

>

> En fait, " le fameux "peuple" dont il est question dans la

> Constitution ("Nous, le peuple des États-Unis", expression dont [les

> Américains sont] redevables au très riche gouverneur Morris) ne

> comprend ni les Indiens, ni les Noirs, ni les femmes, ni même les

> serviteurs sous contrat ".

>

> L'abolition de l'esclavage est une bonne illustration du contrôle d'un

> progrès social inévitable.

>

> Zinn résume ainsi la situation : " En 1860, quand le Sud produit un

> million de tonnes de coton par an, le nombre des esclaves atteint

> quatre millions. Constamment en proie aux révoltes et aux

> conspirations, les États esclavagistes du Sud avaient développé un

> réseau d'outils de contrôle qui s'appuyait sur les lois, les

> tribunaux, les forces armées et le préjugé raciste des responsables

> politiques de la nation. Seuls un soulèvement général des esclaves ou

> une guerre généralisée auraient pu abattre un système aussi solidement

> étayé. Mais un tel soulèvement risquait de se révéler incontrôlable et

> de libérer des forces qui pourraient s'en prendre, au-delà de l'

> esclavage, au système d'enrichissement capitaliste le plus efficace du

> monde. En cas de guerre généralisée, en revanche, ceux qui la

> conduiraient pourraient en maîtriser les conséquences. Aussi est-ce

> Abraham Lincoln et non John Brown qui affranchit finalement les

> esclaves.

>

> En 1859, John Brown fut pendu avec la complicité des autorités

> fédérales pour avoir tenté de faire, par un usage somme toute modéré

> de la violence, ce que Lincoln ferait quelques années plus tard après

> un déchaînement de violence généralisé.

>

> L'abolition de l'esclavage se faisant sur ordre du gouvernement - sous

> la formidable pression, il est vrai, des Noirs, libres et esclaves, et

> des Blancs abolitionnistes -, elle pouvait être orchestrée de manière

> à ce que l'émancipation reste limitée. Cette libération "venue du

> haut" ne pouvait dépasser les bornes fixées par les intérêts des

> groupes dominants. Mais, portée par la dynamique de la guerre et la

> rhétorique de la croisade, elle pouvait être ramenée vers un cadre

> encore plus sûr. Si l'abolition de l'esclavage entraîna, en effet, une

> reconstruction nationale sur les plans économique et politique, ce ne

> fut pas une reconstruction radicale mais une reconstruction

> sécurisante - et surtout rentable. "

>

> Rapprochons-nous de la période contemporaine.

>

> À la fin du xixe siècle naît au Texas un rassemblement de fermiers qui

> aboutit à la formation d'un mouvement populaire qui débouche sur la

> formation d'un troisième parti qui. Mais comment cela a-t-il commencé

> ?

>

> Existait alors un système qui permettait aux fermiers d'emprunter aux

> fournisseurs leurs marchandises mais à un tel taux d'endettement que

> tout remboursement était souvent impossible - 90 % des fermiers du Sud

> étaient endettés. (C'est comme si les États-Unis avaient expérimenté

> chez eux le système de la dette du tiers-monde.)

>

> Deux histoires pour illustrer la situation : " Un fermier blanc de

> Caroline du Sud achète entre 1887 et 1895 pour 2 681,02 dollars de

> produits à un fournisseur. Comme il ne peut lui rembourser que 687,31

> dollars, il lui donne finalement sa terre. Entre 1884 et 1901, Matt

> Brown, un fermier noir de Black Hawk (Mississippi), s'approvisionne

> auprès du magasin Jones, s'endettant de plus en plus. Pour finir, son

> nom est mentionné une dernière fois dans le livre de comptes du

> fournisseur, en 1905, pour l'achat d'un cercueil. "

>

> En 1886, après une série de révoltes contre ce système, des fermiers

> blancs se réunissent pour fonder la première Farmers Alliance. Des

> centaines de milliers de fermiers forment des coopératives, achètent

> du matériel en gros pour obtenir des prix plus bas, mettent leur coton

> en commun et le vendent via les coopératives.

>

> En 1892, des porte-parole de l'Alliance visitent 43 États et s'

> adressent à près de 2 millions de familles. Il s'agit déjà alors de la

> " plus importante tentative d'organisation menée par un groupe de

> citoyens américains du xixe siècle ".

>

> Le mouvement dépasse 400 000 membres ; les expériences se développent

> : un système monétaire parallèle, des garanties coopératives agricoles

> pour assurer les fermiers contre la perte de leur récolte, etc.

>

> Ce projet ne pouvant être repris par aucun des deux principaux partis,

> les Alliances créent le parti du Peuple (ou parti populiste), qui

> obtient bientôt des membres au Congrès, un gouverneur en Géorgie et au

> Texas, etc.

>

> Mais trois problèmes majeurs se présentent : le maintien de la

> politique aux mains des caciques habituels (qui ne furent jamais mis

> en danger) ; la question raciale (un blocage constant malgré le

> caractère unique de l'expérience populiste du rapprochement des races

> notamment dans le Sud) ; l'alliance fermiers-travailleurs (qui n'

> aboutit jamais malgré la prédominance de la question économique).

>

> Après de sérieux échecs sur ces points, le piège du suffrage électoral

> se referme sur les Populistes : rallié au parti démocrate aux

> élections présidentielles de 1896, le Populisme finit par se perdre

> dans les méandres de la politique démocrate. Si les démocrates l'

> emportent, le Populisme est absorbé. Si les démocrates perdent, il se

> désintègre.

>

> Comme lors de la plupart des périodes électorales américaines, il faut

> raffermir le système après des années de contestation et de révolte.

> Lorsqu'un mouvement de masse relativement menaçant se développe, le

> système bipartisan est prêt à envoyer une de ses colonnes (une fois

> les démocrates, une fois les républicains) pour le circonvenir et en

> extirper toute vitalité. Et, toujours le même outil pour noyer le

> ressentiment de classe sous un flot de slogans d'unité nationale. L'

> acte suprême de patriotisme restant la guerre, deux ans après l'

> élection de McKinley à la présidence, les États-Unis déclarent la

> guerre à l'Espagne. En 1897, Theodore Roosevelt avait écrit à un ami :

> " Entre nous, [.] j'accueillerais avec plaisir n'importe quelle guerre

> tant il me semble que ce pays en a besoin. "

>

> Mais si la guerre et le chauvinisme peuvent différer la colère de

> classe inspirée par les dures réalités de la vie quotidienne, elles ne

> peuvent la faire disparaître complètement. À l'orée du xxe siècle,

> cette colère éclate de nouveau. Emma Goldman - militante anarchiste et

> féministe - s'adresse ainsi à la foule au cours d'un rassemblement

> organisé quelques années après la guerre hispano-américaine : " Comme

> nos cours se soulevaient d'indignation devant ces cruels Espagnols !

> [.] Mais lorsque la fumée fut dissipée, que les morts eurent été

> enterrés et qu'il revint au peuple de supporter le coût de cette

> guerre par la hausse des prix des produits de première nécessité et

> des loyers - c'est-à-dire quand nous sommes sortis de notre ivresse

> patriotique -, il nous est soudainement apparu que la cause de la

> guerre hispano-américaine était le prix du sucre. [.] Et que les vies,

> le sang et l'argent du peuple américain avaient servi à protéger les

> intérêts des capitalistes américains. "

>

> Les États-Unis allait bientôt connaître le défi socialiste. Il était

> temps que le pays se lancent dans la Première Guerre mondiale.

>

> Finalement, qu'est-ce que dessine ce long parcours historique

> redessiné par Zinn ? La permanence de la résistance des petites gens ;

> l'adaptabilité des techniques de contrôle social ; l'incertitude et la

> nécessité du combat dans un système où les jeux ne sont jamais faits.

> En fait, quand on rend compte de la vie du plus grand nombre, l'

> histoire n'est plus qu'une histoire de révolte, de résistance, d'

> avancées libératrices et de répressions. On voit s'opérer l'

> affrontement de deux constantes, irréductibles et antagonistes : d'une

> part, l'inépuisable capacité de résistance d'hommes et de femmes en

> apparence impuissants et résolus de leur sort ; de l'autre, les

> ressources infinies d'un système de contrôle, le plus ingénieux

> système de contrôle de l'histoire du monde, le capitalisme.

>

> Comprenant cela, la fausse opposition, sur fond de nationalisme, entre

> pro- et anti-américanisme, cette opposition qui fait couler tant d'

> encre de presse réactionnaire, du Monde au Figaro, prend une tout

> autre signification. L'" américanisme " et l'" antiaméricanisme " ne

> sont plus que, d'un côté, l'admiration de la mise au pas d'un peuple

> par le capitalisme d'État et, de l'autre, le refus de cette gestion et

> de ses valeurs.

>

> Il est facile de comprendre qu'une telle présentation d'un tel livre

> sur un tel propos, il ne sera pas facile de la voir se dérouler dans

> les lieux officiels de l'idéologie officielle, qui n'a aucun intérêt à

> faire savoir que l'histoire du monde n'a pas toujours été celle du

> seul monde possible que l'on nous fait.

>

> Car, si ce livre nous permet d'accomplir une conversion du regard,

> alors nous ne mettrons plus que du désespoir dans nos principales

> institutions (les grands médias, les partis politiques qui gère l'

> alternance du capitalisme d'État, les syndicats de la cogestion

> patronale) pour réserver ailleurs et autrement nos efforts.

>

> Contact pour cet article. Sebastien MENGIN - Editions Agone

> sebastien-agone@atheles.org

>

>

> ______________________________

>

> 3- Impasse argentine et capital financier

> ____________________________________________________________

>

> Par Michel Lasserre

>

> L'Argentine est en plein chaos :

>

> - chaos économique qui se traduit par un effondrement de la

> production, par des faillites nombreuses ;

>

> -chaos monétaire et financier, crise de liquidités, les déposants ne

> peuvent plus retirer librement leur monnaie des banques, les banques

> ne peuvent plus prêter aux entreprises et sont pratiquement en

> situation de faillite ;

>

> -chaos social, avec un chômage massif et en augmentation rapide, plus

> de la moitié des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté.

>

> L'Argentine est en cessation de paiement de sa dette publique (141

> milliards de $) depuis décembre 2001, et aucune institution financière

> privée ne lui prêtera dans ces conditions. Elle devait rembourser 809

> millions de $ à la Banque Mondiale, le 14 novembre 2002, elle n'a pu

> rembourser qu'environ 80 millions équivalent aux intérêts dus. Elle

> est donc en défaut de paiement, et la BM a décidé de lui cesser

> l'octroi de nouveaux prêts. Elle devait aussi rembourser 141 millions

> de dollars au FMI avant le 22 novembre 2002, elle a demandé un report

> d'un an que le FMI a accepté. Le FMI a suspendu en décembre 2001 son

> dernier plan d'aide de 22 milliards de dollars à l'Argentine, et ne

> lui octroie plus aucun crédit.

>

> Aujourd'hui, l'Argentine est dans une situation telle qu'elle ne peut

> plus payer ses dettes sans le recours à un crédit supplémentaire. Or,

> elle n'aura plus de crédit si elle ne paye pas ses remboursements.

> L'Argentine est donc dans une impasse, elle est de fait en situation

> de faillite.

>

> Pourtant si le FMI lâche l'Argentine, n'oublions pas qu'elle fût son

> meilleur élève. Elle a suivi jusqu'au bout la logique du capitalisme

> financier et du libéralisme qui lui est associé, cette même logique

> qui est justement celle du FMI, et qu'il impose en échange de ses

> prêts. C'est ainsi que durant la décennie quatre-vingt-dix, les

> capitaux internationaux s'emparèrent de pans entiers de l'économie, y

> compris de vastes propriétés foncières. La privatisation y fut aussi

> des plus sauvages, de grosses entreprises (YPF, Aerolinas) furent

> bradées aux multinationales. Cette politique économique ultra-libérale

> couplée à une politique financière d'endettement, a abouti à

> l'inévitable impasse du surendettement. Le surendettement est un

> processus bien connu, qui peut toucher différents acteurs économiques.

> Plus l'endettement s'aggrave, plus les remboursements prennent une

> part importante par rapport aux revenus de l'endetté, et plus les

> risques de défaut de paiement augmentent. Pour compenser ce risque,

> les prêteurs réclament alors des taux d'intérêts de plus en plus

> élevés. Si l'emprunteur voit ses revenus stagner ou baisser, il en

> devient réduit à emprunter non pour financer ses activités, mais pour

> rembourser ses emprunts précédents. Au delà d'un certain seuil de

> surendettement, les prêteurs ne veulent plus prendre de risques et

> l'endetté est en situation de faillite. C'est ce qui se passe à

> l'heure actuelle pour l'Argentine. Les effets dévastateurs de

> l'endettement et des plans d'ajustement ont depuis longtemps été

> constatés dans les pays pauvres, ceux d'Afrique en particulier ; mais

> l'Argentine n'était pas un pays pauvre, c'était un pays développé qui

> a connu le plein emploi. C'est la première fois que nous assistons à

> un tel effondrement, d'où l'importance que nous devons lui accorder.

>

> Dans un premier niveau d'analyse, on peut bien sûr faire retomber la

> faute sur l'Argentine. On peut critiquer les choix de ses différents

> gouvernements, élus démocratiquement ou imposés par la force ; on peut

> évoquer des facteurs tels la corruption, ou les particularités de son

> économie. Toutefois il ne faut pas oublier que d'une part l'Argentine

> n'est pas le seul acteur de ce scénario, et que d'autre part celui-ci

> s'est joué dans le cadre du système économique global qui l'environne.

>

> Les seconds acteurs sont les Institutions Financières Internationales,

> c'est à dire le FMI, la Banque Mondiale, et les investisseurs privés

> qui ont prêté leurs dollars à l'Argentine, moyennant intérêts et

> ajustements structurels. Ce sont aussi les entreprises multinationales

> qui ont profité de ces ajustements structurels pour s'emparer de

> l'économie du pays, et qui après y avoir pompé du profit ont

> aujourd'hui une forte tendance à le quitter avant d'y laisser des

> plumes. Dans cette tragédie, l'Argentine n'a été que le jouet de ces

> acteurs, son impasse actuelle n'est que le résultat de leurs actions.

>

> Quant à l'environnement économique global, c'est celui du capitalisme

> financier mondialisé. La logique de privatisation et d'endettement,

> qui a été mise en oeuvre jusqu'au bout en Argentine, s'est directement

> traduite sous forme de valeur actionnariale et sous forme de titres de

> créances, c'est à dire sous la pure forme de capital financier. Cette

> logique, n'a pas été suivie par hasard, mais parce qu'elle est tout à

> fait conforme aux besoins de croissance et d'accumulation de ce

> capital. Dans le scénario qui a conduit l'Argentine à une impasse, le

> rôle des seconds acteurs a donc été tout à fait conforme à la logique

> du capitalisme financier. Tellement conforme que les acteurs semblent

> ici être des pions, sujets d'une mécanique kafkaïenne qui leur impose

> ses propres contraintes de fonctionnement. Au delà de ses acteurs,

> l'impasse argentine se révèle alors ici comme une impasse de la propre

> logique interne du capitalisme financier mondialisé.

>

> Il apparaît de plus en plus clairement que si cette logique ne change

> pas ( le pourrait-elle ?) , d'autres pays d'Amérique Latine vont

> pareillement suivre le sort de l'Argentine, on peut penser à

> l'Uruguay, à l'Équateur, au Brésil. Les ruptures massives de chaînes

> de crédit, et l'ébranlement du système financier qui en découlera,

> auront alors pour effet de mettre en évidence l'impasse du capitalisme

> financier dans sa globalité mondialisée.

>

> Du point de vue de l'Argentine, si le capitalisme financier y a

> atteint et dépassé une limite, on ne voit pas comment, après avoir

> conduit le pays à l'effondrement, ses mécanismes pourraient maintenant

> permettre au pays d'assurer un redécollage économique. Le mot d'ordre

> du mouvement social argentin, "Que se vayan todos !", montre que le

> peuple a déjà bien compris qu'une sortie de la crise ne pourra se

> faire que sur des bases économiques qui feront passer l'humain avant

> la rentabilité du capital financier.

>

> Contact pour cet article. mic.lasserre@free.fr

>

>

> ______________________________

>

> 4- Le Venezuela paysan

> ____________________________________________________________

>

> Par Teodoro Guevara et Arturo Alvarez Vega. Membres de la Coordination

> nationale du Movimiento Agrario 'Ezequiel Zamora' (mouvement agraire

> 'Ezequiel Zamora', MAIEZ, organisation affiliée à la Coordinadora

> Agraria Nacional 'Ezequiel Zamora', CANEZ). Ils militent l'un et l'

> autre depuis plus de 40 ans dans le mouvement paysan vénézuélien

>

> Extrait de " Vía Campesina: une alternative paysanne à la

> mondialisation néolibérale " (voir informations en fin de l'article)

>

> Venezuela : les lois sur la terre et sur la pêche, des lois pour venir

> à bout de la pauvreté et de la dépendance

>

> Ce bloc de lois, approuvé par l'exécutif après une intense période de

> consultations, d'investigations et de discussions, a soulevé l'ire de

> petits mais puissants secteurs du pouvoir économique du pays. Alarmés,

> ceux-ci se sont mobilisés pour tenter de pervertir le contenu

> progressiste et solidaire de ces mesures et s'opposer à une

> modernisation de l'appareil économique ; ils en ont fait l'enjeu d'un

> conflit politique avec pour seule fin de défendre leurs intérêts

> particuliers et de perpétuer un système totalement injuste et

> irrationnel qui, au cours de ces quarante dernières années, n'a

> apporté aucun progrès dans l'économie et la production nationale. Ces

> groupes d'opposants furent ceux-là mêmes qui, durant toute cette

> période, vécurent grassement de subventions gouvernementales, sans

> rendre de comptes à la nation, comblés qu'ils étaient par des gains

> faciles.

>

> Aucun doute n'est possible. Pour le peuple vénézuélien, pour les

> travailleurs et les travailleuses, ces lois constituaient un bienfait

> qui se traduit aujourd'hui par un ordre juridique plus juste et

> conforme à la Constitución bolivariana - approuvée par référendum par

> une immense majorité des Vénézuéliens, y compris par nombre d'

> entrepreneurs honnêtes qui, en soutenant la production nationale et en

> s'opposant à l'emprise réactionnaire des sociétés transnationales,

> bénéficient du coup d'une certaine protection de leurs propres

> investissements.

>

> Les travailleurs et les travailleuses de divers secteurs ont montré

> leur appui à ces lois, entrées en vigueur en novembre 2001. Ils ont

> infligé un cinglant démenti au discours du président de la

> Confédération des travailleurs du Venezuela et mis à nu autant son peu

> de représentativité que l'illégalité de son pouvoir en faisant échec

> au coup d'Etat fasciste du 11 avril dernier, dont l'un des buts était

> justement d'en empêcher l'application.

>

> Les Lois sur les terres et sur la pêche

>

> Savez-vous qu'à elles seules huit familles du pays possèdent

> conjointement plus de 150 mille hectares de terrains ? Pouvez-vous

> seulement l'imaginer ? Cela représente à peu près l'équivalent de

> dix-huit fois la surface de la capitale du Venezuela, Caracas, où

> vivent plus de 4 millions de personnes. Savez-vous de surcroît que ces

> immenses biens fonciers demeurent la plupart du temps non cultivés,

> alors qu'ils sont situés dans les régions les plus fertiles du pays ?

> Eh bien, ce sont ces familles qui ont pris la tête de l'opposition à

> la Loi sur les terres et le développement agraire (Ley de Tierras y

> Desarrollo Agrario). De plus, il y a lieu de souligner ici que

> certaines grandes exploitations, comme par exemple la compagnie de

> production de liqueurs Santa Teresa, implantées dans les vallées de l'

> Aragua, ne disposent d'aucun titre de propriété sur les terres qu'

> elles occupent.

>

> Et l'on pourrait multiplier les exemples de l'inégale distribution des

> terres dont la révolution bolivarienne a hérité. Une grande partie des

> exploitants ne pouvaient légitimer leurs possessions, beaucoup de

> leurs titres de propriété étant des faux ou résultant de successions

> provenant de " cadeaux " offerts par des gouverneurs de province, des

> présidents d'Etats ou du président de la République, faits non

> seulement à l'époque plus obscure de la fin du 19e siècle, mais

> longtemps encore au cours du 20e.

>

> Les détenteurs de terre qui s'opposent à la loi sont les premiers à

> prétendre que celle-ci constitue une " offense à la propriété " au

> motif qu'elle les oblige à payer un impôt si ces étendues, parmi les

> plus productives du pays, restent inutilisées. Or qui sont ces gens ?

> Il s'agit de secteurs parasites qui jouissent de revenus facilement

> acquis et qui pratiquent l'élevage sur des sols qui conviendraient

> pourtant tout particulièrement à l'agriculture, sans même apporter un

> quelconque développement à ce domaine d'activités. Ce sont les

> secteurs qui profitent de l'agriculture " de port ", qui l'encouragent

> même, renforçant du même coup la dépendance agroalimentaire du pays,

> tout en vivant de subsides d'Etat dont ils ne rendent aucun compte.

>

> La loi met en place un ensemble d'avancées qui fortifient le mouvement

> paysan, la sécurité agroalimentaire et le développement de l'appareil

> productif. Elle protège les paysans pauvres, stimule la formation de

> coopératives et d'autres formes de production associatives en les

> soutenant financièrement et techniquement et en créant parallèlement

> les conditions de leur viabilité économique par la mise en place des

> voies de transport et de commercialisation nécessaires.

>

> La Ley de Tierras y Desarrollo Agrario a permis de lancer un processus

> de répartition plus équitable de la richesse agricole en régularisant

> le partage de la terre entre paysans par l'intermédiaire de l'Institut

> national des terres (Instituto Nacional de Tierras). Elle a redonné à

> la terre sa fonction sociale et valorisé son potentiel productif ;

> elle a stimulé la construction de centres de population ruraux dotés

> de services, donnant à leurs habitants accès à la santé, à l'

> éducation, à une vie digne.

>

> Ce nouvel instrument légal, fondamental en ce qui concerne le

> processus de libération national initié au Venezuela pas la révolution

> bolivarienne, vise une harmonisation du développement agropastoral, la

> réduction et, à terme, l'élimination de la dépendance alimentaire, la

> conservation et la protection de l'environnement, l'équilibre

> écologique.

>

> Cette Loi a renforcé l'organisation, la mobilisation et la

> participation du mouvement paysan et des populations rurales, qui

> représentent entre 12 et 15 % de la population du pays. Elle ouvre une

> contradiction fondamentale entre, d'une part, les intérêts du pays,

> son indépendance, sa souveraineté, ainsi que les droits et les

> aspirations légitimes des campagnes et, d'autre part, les intérêts

> mesquins des latifundistes et autres accapareurs de terre. Ce qui est

> en jeu est la récupération de la fonction sociale de la terre, la

> poursuite de la lutte pour l'égalité et la justice entreprise par

> Ezequiel Zamora, surnommé par ses successeurs " le Général du peuple

> souverain " (el General del Pueblo Soberano) et dont les consignes

> étaient : " Terre et hommes libres, respect du paysan et élimination

> des usurpateurs et nobliaux ".*

>

> Cette Loi va de pair avec celle sur la pêche (Ley de Pesca y

> Acuacultura)**, entrée en vigueur conjointement, afin d'actualiser les

> politiques et législations étatiques dans ce domaine. Elle réglemente

> l'exploitation halieutique en protégeant le milieu naturel, en

> favorisant les pêcheurs artisanaux et en imposant des limites à la

> pêche industrielle (fixées à six mille marins des côtes maritimes et à

> dix mille des côtes insulaires), ce qui a pour effet de réduire au

> maximum les dommages à l'écosystème marin et de garantir aux petits

> pêcheurs des possibilités réelles de développement et de productivité.

>

> La Loi sur la pêche stipule une protection sociale obligatoire pour

> les marins embarqués sur les barques de pêche, la reconnaissance des

> droits sociaux et du travail dans ce secteur où traditionnellement les

> travailleurs étaient surexploités et sans protection. Elle prévoit un

> ensemble d'amendes et de sanctions en cas d'infractions commises par

> les industriels et supprime la réelle impunité dont jouissaient

> auparavant ces derniers, lorsqu'ils pénétraient dans les zones de

> pêche réservées aux artisans, détruisaient leurs instruments de

> travail ainsi que les milieux marins, et n'avaient à payer que des

> amendes dérisoires. Elle permet de plus de briser les filières d'

> intermédiaires et de rabaisser le prix des produits marins pour les

> consommateurs.

>

> Le mouvement paysan

>

> Avant la tentative de coup d'Etat du 11 avril 2002, la vieille

> oligarchie du pays avait déjà entrepris de s'opposer à l'application

> de la Loi sur les terres en utilisant tous les moyens légaux et

> illégaux imaginables et en exerçant toutes les pressions possibles sur

> le gouvernement.

>

> La remise des premiers titres de propriété s'accompagna des premiers

> attentats contre le mouvement paysan : Luis Mora, président du Bloc

> révolutionnaire de la région dénommée Sur del Lago, dirigeant et

> combattant de pointe de la cause paysanne qui travaillait à la mise en

> place des instruments de politique agraire régionaux, fut lâchement

> assassiné par des tueurs à gage le 10 janvier 2002, devant son fils de

> onze ans. Cet événement se produisit à peine quelque heures après un

> autre attentat, perpétré celui-ci à Macaraibo, contre José Huerta, à

> la fois ancien délégué de l'Institut agraire national (Instituto

> Agrario Nacional) et collaborateur du Ministère de l'agriculture,

> militant et dirigeant paysan et membre du Comité central du Parti

> communiste du Venezuela. D'autres leaders paysans ont également reçu

> des menaces de mort. Quant aux industriels de la pêche, ils avaient

> convoqué à une manifestation lors de laquelle ils avaient professé qu'

> on s'acheminait vers une pénurie de produits maritimes.

>

> Tous ces efforts s'avérèrent vains. Le mouvement paysan continue à

> progresser en termes d'organisation, de formation et d'articulation à

> l'échelle nationale ; l'application des lois précitées se poursuit ;

> les mouvements populaires sont désormais traités en partenaires par le

> Ministère de l'agriculture et par l'Institut national des terres qui

> leur reconnaissent une voix décisionnelle dans la politique de

> développement agricole et de sécurité alimentaire.

>

> Larges mobilisations paysannes face au coup d'Etat

>

> Si quelques-uns signalent un certain désenchantement parmi les couches

> populaires, suite à une politique trop conciliante à leurs yeux du

> Président Chavez face à la bourgeoisie au cours des trois années

> précédant la tentative de coup d'Etat du 12 avril 2002, les reporters

> de la presse de gauche sont unanimes à souligner le rôle décisif joué

> par la campagne, aux côtés des ouvriers et des pauvres de la capitale,

> dans l'échec du golpe.

>

> Andry McInerny, dans Mundo Obrero (New York) du 2 mai 2002, écrit que

> les 13 et 14 avril " des centaines de milliers de travailleurs et de

> paysans se sont dressés dans tout le pays pour faire échec au coup d'

> Etat ". " Des paysans de toutes les régions du Venezuela ",

> poursuit-il, " se sont massés dans des autocars en direction de

> Caracas pour protester contre cette tentative ".

>

> Desde Abajo, périodique indépendant de la Colombie voisine, note

> également que " marchant vers la capitale, des milliers de paysans,

> bénéficiaires de la réforme agraire, se mobilisèrent spontanément "

> (10e année, No 67, mai 2002).

>

> Perspectiva Mundial (New York, Vol. 26, No 5, mai 2002) insiste de

> même sur le " facteur décisif constitué par l'intervention des

> travailleurs et des paysans dans l'échec du coup d'Etat "...

>

> Le mouvement paysan a joué, aux côtés d'autres secteurs sociaux, un

> rôle décisif dans les journées du 12, 13 et 14 avril 2002. Il poursuit

> la révolution bolivarienne en exerçant les pressions nécessaires pour

> débusquer ceux qui la sabotent et en trahissent les objectifs et se

> bat pour que les aigrefins qui tentent d'organiser des groupes

> paramilitaires, de terroriser le mouvement paysan et de contrecarrer

> le mouvement révolutionnaire, notamment dans la zone frontière avec la

> Colombie, soient poursuivis en justice et châtiés.

>

> La coordination internationale des paysans vénézuéliens avec les

> autres mouvements paysans progressistes et révolutionnaires du monde

> (comme la Vía Campesina) est une nécessité impérieuse en cette période

> d'aiguisement des contradictions au Venezuela ; elle permettra au

> mouvement révolutionnaire bolivarien de mieux définir et délimiter ses

> objectifs et de renforcer son action face à l'ennemi intérieur qui,

> quoique affaibli, réagit de façon aussi désespérée qu'extrêmement

> dangereuse et qui peut compter sur l'appui économique et politique du

> principal centre de pouvoir dans le monde, l'impérialisme

> nord-américain.

>

> Le processus révolutionnaire bolivarien a entamé une marche qui

> devrait l'amener à rendre au peuple ses droits et à satisfaire ses

> revendications bafouées par les " laquais de l'impérialisme ", selon l

> 'expression consacrée. Parmi ces droits se trouvent en bonne place

> ceux pour lesquels lutte le mouvement paysan. Celui-ci se situe aux

> avant-postes du combat pour consolider et approfondir le processus

> révolutionnaire vénézuélien ; il est appelé à jouer un rôle de premier

> plan dans le renforcement et le développement des luttes populaires en

> Amérique latine et, plus généralement, du mouvement de luttes contre

> la mondialisation néolibérale.