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J'aime ce texte n° 1 tiré du bulletin d'ATTAC (peut être un peu long)
On peut espérer... Georges

COURRIEL D'INFORMATION ATTAC (n°272)

1- Une réponse à l'idée absurde de la guerre des civilisations
Mais, et il nous faut le rappeler avec force, cet engrenage n'est pas fatal, et le refus de cette évolution peut conduire à de nouvelles possibilités, peut amener le monde à une plus grande maturité. Que peuvent faire tous ceux qui, individuellement et collectivement, refusent cet avenir ? Où et comment construire une position alternative ?

2- N'importe quoi.
Le gouvernement américain soutient une loi interdisant toute
coopération militaire avec les Etats ayant ratifié le Statut de la
Cour pénale internationale (CPI)!

3- L'OCDE part en guerre
Le Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI) va tenir une réunion plénière extraordinaire à Washington, les 29 et 30 octobre 2001 pour engager des initiatives visant à combattre le financement du terrorisme.

4- Forum Social Mondial 2002
Le Forum Social Mondial est un espace ouvert de rencontres pour l'approfondissement de la réflexion, le débat  démocratique d'idées, la formulation de propositions, le libre échange d'expériences et l'articulation d'actions efficaces, d'entités et de mouvements de la société civile qui s'opposent au néolibéralisme et à la domination du monde par le capital et par n'importe quelle forme d'impérialisme, et qui sont investis dans la construction d'une société planétaire centrée sur l'être humain.

5- Vous avez rendez-vous avec ATTAC

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1- Une réponse à l'idée absurde de la guerre des civilisations

Par Gustave Massiah

Le onze septembre 2001, à New-York et Washington, un événement au sens le plus fort du terme, a fait irruption sur la scène de l'Histoire. Un événement porteur d'incertitudes dont les effets à long terme, contradictoires, dépendront de la capacité des acteurs à modifier leurs stratégies. Un événement qui s'inscrit dans les tendances mais qui les bouleverse. L'hégémonie " états-unienne " a été dévoilée dans son écrasante suffisance et dans ses faiblesses. Cette atteinte a pris l'apparence de forces qui, dans leurs objectifs déclarés et dans leurs modes d'action, opposent une vision régressive et totalitaire à une prétendue modernité imposée par les forts aux faibles. Cette situation interpelle les mouvements citoyens qui ont toujours refusé de se laisser enfermer dans la représentation absurde de la guerre des
civilisations et qui défendent la solidarité internationale entre les peuples.
 

  • La mesure de l'événement, une atteinte de plus à la  conscience universelle


Il nous faut d'abord prendre la mesure immédiate de l'événement et refuser de séparer la forme du fond, la fin des moyens. La compassion avec les victimes n'est pas une révérence obligée. Elle résiste à la répétition d'images qui deviennent irréelles, au spectaculaire en boucle qui déshumanise. Il est certes légitime de rappeler que toutes
les victimes ont le même droit à la compassion et de regretter le peu d'attention, voire l'indifférence à tant de massacres. Il faut être attentif à ne pas revenir au cynisme de la guerre froide qui consistait à considérer que c'est à chaque camp de pleurer ses morts et de compter ses cadavres. Cet attentat s'inscrit dans l'inacceptable qu'aucune comparaison dans les chiffres de l'horreur ne saurait réduire.

La nature de l'attaque n'est pas indifférente dans ce qu'elle révèle et dans ce qu'elle porte. Transformer des avions, pleins de civils, en missiles contre des immeubles pleins de civils n'est pas anecdotique.
Il affirme le refus du lent et tâtonnant progrès de la conscience universelle. La tentative de séparer le terrorisme étatique ou privé, des autres formes de résistance, le refus du massacre aveugle de civils, n'est pas une question de sensiblerie ou une ruse des plus forts. Elle n'implique pas d'éliminer la différence entre le terrorisme de conquête et le recours qui peut être légitime de la violence de ceux dont les droits sont niés. Il peut paraître absurde de vouloir humaniser la guerre alors qu'il s'agit d'imposer la justice et la paix. Pourtant, le refus de la torture, l'abolition de la peine de mort sont des victoires partielles qui ont leur importance. Une action génocidaire, auparavant considérée comme relevant de la fatalité est aujourd'hui moins acceptée par l'opinion, rejetée par l'évolution de la conscience universelle, bientôt on peut l'espérer, condamnée par le droit international. Il est rassurant, pour l'instant, que dans le débat international qui s'est amorcé, trois questions soient présentes : l'importance du droit pour lutter contre le terrorisme, l'effet du terrorisme sur le droit et l'effet sur le droit de la lutte contre le terrorisme.

La solidarité avec le peuple américain, profondément touché dans sa diversité, est notre premier mouvement. Ce n'est évidemment pas un blanc-seing à ceux qui voudraient orienter une communion, bien naturelle, vers un unanimisme revanchard. Il s'agit d'assurer de notre fraternité et de notre soutien les forces lucides qui refusent le consensus et qui revendiquent leur libre arbitre.  De nombreuses prises de position montrent la vivacité de ce courant, de cette partie
du peuple américain qui a toujours lutté en situation contre les discriminations, pour la justice, les libertés et la paix. Il faudrait citer entièrement cette lettre admirable de parents pleurant leur fils disparu,  publiée par le New-York Times : " Pas au nom de notre fils . mort victime d'une idéologie inhumaine ; . trouvons ensemble une réaction rationnelle qui apporterait la paix et la justice au monde n'ajoutons pas en tant que nation, à l'inhumanité de notre époque ".
 

  • Une stratégie fondée sur une représentation, celle du conflit des civilisations


Dans cette période d'incertitudes, l'exploration des hypothèses fait partie de l'analyse de la situation. Certes tout n'est pas clair dans les zones troubles où se jouent les cyniques manipulations et contre-manipulations. Les frontières poreuses entre le Pakistan et l' Afghanistan, avec leur trop plein d'armes, de drogues et de haines, ont été aussi l'espace de rencontres et de connivences entre les services secrets et les fondamentalistes. La véritable bombe qui n'a
pas fini d'exploser est constituée des 15000 " afghans ", ces fameux " combattants anticommunistes de la liberté ", formés, armés et choyés par la CIA. Aucune hypothèse sur les responsabilités et les complicités ne peut être écartée à priori. D'autant que l'attaque surprise des tours de New York laisse inexpliquée l'étonnante percée des défenses du Pentagone à Washington.

Au-delà de l'attentat lui-même, le débat stratégique est enclenché sur une offensive islamiste. Retenons l'hypothèse d'une fraction fondamentaliste qui aurait perdu la bataille de l'élargissement politique et qui s'engagerait dans une offensive avant-gardiste fondée sur une option terroriste. Cette fraction fondamentalisme intégriste est, pour l'islam et les peuples musulmans, analogue à ce que le national socialisme a été pour l'Europe et les peuples européens. Il est aussi absurde d'en tirer des conséquences sur la caractérisation de l'islam, dans ses différentes formes,  que de considérer que le fascisme caractérise la nature profonde d'une civilisation européenne ou, pour remonter plus loin, pour préjuger de l'Inquisition pour résumer et caractériser la chrétienté. Cette fraction fondamentaliste chercherait à unifier le monde musulman sous sa direction. Son objectif serait d'affirmer sa force par un attentat d'une portée symbolique majeure qui touche au cour de la puissance hégémonique et de  montrer sa détermination sans hésiter sur le caractère monstrueux des moyens mis en oeuvre. Le piège tendu aux Etats-Unis les renvoie à un choix entre deux ripostes : l'intervention en Afghanistan, rendue périlleuse après l'assassinat de Massoud ; des bombardements massifs comme en Irak. L'enjeu immédiat, stratégiquement majeur, porte sur le basculement du Pakistan et de l'Arabie Saoudite.

La stratégie, qui ne doit pas être sous-estimée, viserait à forcer une représentation bipolaire, à imposer une vision de l'affrontement " de l'islam et de l'occident", ramenée par les uns et les autres à une vision " du bien et du mal ", " de la civilisation et de la barbarie ".  Cette représentation est largement partagée entre les
fondamentalistes et nombre d'occidentaux ; elle a été théorisée aux Etats-Unis, sous le label de la guerre des civilisations, dans la recherche d'un ennemi jugé nécessaire. Cette stratégie anticipe sur les réactions violentes et disproportionnées qui, par ses dommages collatéraux, feraient basculer, bon gré, mal gré, les peuples musulmans. Elle attend de Bush une riposte fondée sur la même logique que l'attaque terroriste et sur la punition collective qui réveillerait la détestation pour les Etats-Unis en tant que système de domination mondiale. Elle attend de Sharon qu'il poursuive sa course folle contre les Palestiniens, expérimentant sans relâche la stratégie dissymétrique, persuadé que l'écrasement par le plus fort suffit à faire taire le plus faible, incapable dans son aveuglement de voir que le danger mortel pour le peuple israélien est d'enfoncer encore l'Etat d'Israël dans une politique coloniale et raciste. Ces réactions viendraient ainsi justifier le discours fondamentaliste, renvoyant chacun dans son camp et limitant l'émotion soulevée par les attentats.
 

 

Le danger d'une telle stratégie tient plus au contexte qu'à ses auteurs. S'il ne tenait qu'à leurs positions indifférentes aux situations sociales et à leur idéologie totalitaire et méprisante des droits individuels et collectifs, les tenants fondamentalistes de la bipolarisation  n'auraient aucune chance d'isoler leurs adversaires et de rallier l'opinion dans les pays musulmans et dans le monde. Mais il faut compter avec l'exaspération des peuples devant l'arrogance des riches et des puissants, face au cynisme et à l'égoïsme économique aveugle. Dans un monde globalement de plus en plus riche, la pauvreté augmente, les inégalités prennent des proportions insoupçonnables, les discriminations sont la règle. La gestion de la crise de la dette a réduit à néant les espoirs nés de la décolonisation. Les rapports des institutions internationales décrivent, année après année, un monde de plus en plus inacceptable. La prise de conscience de cette situation rend insupportable l'idée que rien ne peut y changer. Là est le terreau des désespoirs qui peuvent donner prise à toutes les manipulations et à tous les terrorismes. L'unilatéralisme des Etats-Unis, la remise en cause des accords internationaux pourtant bien modestes, leur mépris des Nations Unies, leur pratique du " deux poids, deux mesures " qui mine le droit international, leur prétention à plier le droit international à leurs seuls intérêts conduit à leur isolement. Il y a longtemps que le leadership des Etats-Unis est dévalorisé et bien peu nombreux sont ceux qui seraient disposés à se mobiliser avec pour seul objectif le rétablissement du mythe de leur invincibilité.
 
  • Une réponse est possible, le droit international et le mouvement citoyen mondial


Un scénario d'affrontement qui dériverait vers un conflit long et meurtrier et dont le fondement serait la victoire d'une représentation de la guerre des civilisations est-il envisageable ? On peut penser qu' un piège aussi grossier ne serait pas vraiment crédible. Dans les pays musulmans le ralliement au fondamentalisme n'est pas de mise. Et même aux Etats-Unis, une partie de la direction américaine cherche à éviter les risques. Il serait donc possible de graduer une riposte et de continuer comme avant. Il faut pourtant admettre que cette hypothèse est peu probable et que les risques majeurs demeurent. Les tendances recomposées après l'événement du onze septembre ne conduisent pas à la paix ; les forces qui poussent à un affrontement majeur et à la bipolarisation sont à l'ouvre aussi bien pour ceux qui veulent combattre le camp occidental que pour ceux qui sont prêt à tout pour conserver leurs richesses et leur hégémonie.
Malheureusement, le pire n'est pas improbable. N'oublions pas comment, après l'assassinat de Jaurès, toutes les forces sociales et politiques qui refusaient la guerre ont été marginalisées par le déchaînement des passions nationalistes et des intérêts convergents pour la guerre

Mais, et il nous faut le rappeler avec force, cet engrenage n'est pas fatal, et le refus de cette évolution peut conduire à de nouvelles possibilités, peut amener le monde à une plus grande maturité. Que peuvent faire tous ceux qui, individuellement et collectivement, refusent cet avenir ? Où et comment construire une position alternative ?

Il s'agit d'abord de refuser cette représentation binaire et mortelle de guerre des civilisations. Il s'agit de refuser la vision de mondes fermés, homogènes et uniformisés ; de rappeler la richesse des civilisations, la diversité des peuples du monde et de leurs cultures, la complexité des situations, des géographies et des histoires. Du point de vue géopolitique, cette bataille n'est pas perdue d'avance.
Elle pourrait rencontrer l'intérêt de l'Europe et des grands pays du Sud.

Les pays du Sud ont tout intérêt à refuser tout alignement. L'Inde, le Brésil, l'Afrique du Sud, ont démontré sur la question des médicaments contre le SIDA qu'ils refusaient de subordonner le droit à la santé aux droits des affaires et à l'OMC. On ne voit pas pourquoi ces pays, la Chine et bien d'autres accepteraient de se laisser enfermer dans une représentation bipolaire opposant l'occidentalisme à l'islamisme.
Pour les pays du Sud, un réaménagement géopolitique général s'impose qu'il faudra bien accepter de négocier.

L'Europe est une des clés de la situation. Elle peut en s'alignant, et en participant à une croisade donner raison au pire. Elle peut en réaffirmant son autonomie participer au meilleur dans la reconstruction d'un nouvel équilibre géopolitique et dans une réforme ouverte des Nations Unies. C'est dans ces conditions qu'elle surmontera sa crise et qu'elle construira sa légitimité auprès des peuples du monde, y compris pour les peuples de l'Europe. Ce serait l' intérêt de l'Europe, instruite après les guerres du Golfe et du Kosovo des inconvénients de l'unilatéralisme. Pour l'instant ce n'est pas la voie qu'a choisi l'Europe, elle a toujours préféré l'alliance atlantique par rapport au Sud et elle a surtout été soucieuse de tirer profit de sa position dominante dans l'économie mondiale néo-libérale.
Il ne faut toutefois pas sous-estimer les contradictions de la
situation et les perspectives, bien négligées depuis plusieurs années, d'un projet européen.

La question posée aujourd'hui n'est pas d'abord géopolitique et ne se réglera pas dans une réorganisation de l'espace interétatique. Dans chaque société et au niveau mondial, de nouvelles formes de pouvoir, encore inachevées et contradictoires, sont en gestation. Il est encore trop tôt pour les qualifier et les départager et pour fonder sur elles de nouvelles stratégies. Le processus qui pourrait contribuer à une sortie positive des incertitudes repose sur quatre propositions : la réduction des inégalités sociales et la redistribution des richesses, la lutte contre les discriminations et pour la dignité reconnue, la démocratisation des Etats et la régulation publique en fonction de l' intérêt général, la démocratie participative et la consolidation de ce que l'on appelle, faute de mieux, les sociétés civiles.

Le mouvement citoyen mondial est porteur d'une perspective qui est confirmée par l'évolution actuelle. Il oppose le droit à la force  à la domination et à l'injustice. Le droit doit l'emporter, dans chaque société et au niveau international. Le droit international ne peut être fondé que sur le respect des droits de l'homme, des droits civils et politiques, des droits économiques, sociaux et culturels. La situation exige un bouleversement structurel. De Seattle à  Porto Alegre, les campagnes internationales qui associent directement le Nord et le Sud proposent des alternatives dont on peut mesurer aujourd'hui la pertinence.

Plusieurs des propositions portées par le mouvement citoyen mondial répondent à cette double nécessité : lutter contre les inégalités sociales et géopolitiques, construire les fondements d'un nouveau système international à partir des avancées du droit international.
Citons à titre d'exemple : fonder l'annulation de la dette sur la
reconnaissance de la coresponsabilité et juger de l'illégitimité de la dette devant des juridictions internationales ; organiser la redistribution des richesses à l'échelle mondiale et le respect des générations futures sur une fiscalité mondiale (écotaxes, taxation des transactions financières, etc.) ; lutter contre la criminalité financière par l'interdiction des paradis fiscaux et la saisie, sur instruction judiciaire internationale, des avoirs à l'étranger des responsables de la corruption ; lutter contre l'impunité par la mise en place des instances de recours juridique accessibles aux citoyens ; soumettre les institutions financières internationales et l'OMC au respect de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et des accords internationaux et les intégrer dans le système des Nations Unies ; financer au niveau mondial, comme le propose le PNUD, l' égalité d'accès aux services de base des populations ; fonder, sur l'égalité des droits, un droit international des migrations ; etc.

Ces revendications sont portées par le mouvement citoyen mondial, fondé sur la solidarité internationale entre les peuples, qui se construit à travers les mouvements sociaux et les mouvements d' émancipation dans les différents pays. On peut estimer que le mouvement citoyen mondial a remporté un premier succès. Les mobilisations des dernières années ont permis une prise de conscience de la réalité du monde et ont mis en évidence les inégalités et les injustices. Elles ont contribué à ouvrir des perspectives et des espoirs. Aux yeux des peuples et de l'opinion mondiale d'autres solutions sont possibles et la méfiance par rapport aux sollicitations désespérées est plus grande. Ces mobilisations ont aussi affaibli la légitimité des dirigeants du monde et les ont contraints, pour l' instant, à prendre en compte leurs limites et à ne pas adopter les solutions extrêmes. La référence au droit dans le règlement des conflits se réfère à la justice par rapport à la vengeance et à la punition collective. Cette référence au droit s'impose dans la situation et permet de préparer l'avenir.

Même si une intervention militaire vient aggraver la situation, les contradictions ne disparaîtront pas pour autant et plusieurs avenirs demeureront possibles.  Il n'y a pas de fatalisme dans l'évolution et le pire n'est jamais certain. Les mouvements sociaux dans chacun des pays du Sud et du Nord peuvent faire entendre leur voix pour la justice et pour la paix, pour imposer la lutte contre les inégalités comme une priorité. Les pays du Sud, et particulièrement ceux qui ont
un poids géopolitique déterminant, le Brésil, l'Inde, l'Afrique du Sud et la Chine peuvent affirmer leur volonté et peser sur le réaménagement de la scène mondiale. L'Europe peut saisir cette occasion pour affirmer son indépendance et inscrire son projet dans un monde multipolaire plus équilibré. Il revient au mouvement citoyen mondial de donner un sens à l'engagement des citoyens, de s'appuyer sur une opinion publique mondiale en émergence, de forger les avancées de la conscience universelle. La solidarité internationale entre les peuples est une réponse à l'idée absurde, et mortelle, de la guerre des civilisations. Un progrès peut naître dans la capacité de surmonter une épreuve. Pour faire avancer la civilisation, il faut s' attaquer d'abord à la barbarie que constitue l'ordre injuste du monde.

Gustave Massiah. Président du CRID
29 Septembre 2001

Mardi 09/10/01

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Mollah Omar, chef suprême des taliban
 
 

KABOUL, 17 sept (AFP) - Le mollah Mohammad Omar, chef suprême des taliban, dont la protection a empêché l'extradition d'Oussama ben Laden d'Afghanistan, ne manque pas de mots pour menacer l'Occident de sa rhétorique apocalyptique.

Ce refus de remettre son "hôte" à ses ennemis lui a valu le soutien et l'admiration des islamistes les plus radicaux, mais a entraîné l'isolement international de son pays ravagé par la guerre et la sécheresse.

"Vous connaîtrez des tremblements de terre et des tornades de Dieu, le tout puissant Allah, et ensuite vous serez surpris par ce qui vous arrive" avait-il averti fin 1999, au moment où le Conseil de sécurité des Nations unies imposait des sanctions à l'Afghanistan pour son refus d'extrader ben Laden.

Le même vocabulaire pourrait être de mise mardi, lorsqu'une réunion de quelque 1.000 "sages et érudits de l'Islam" venus de toutes les provinces d'Afghanistan, envisageront de promulguer une fatwa déclarant le "Jihad" (guerre sainte) aux Etats-Unis.

Ces experts du Coran ont été convoqués à Kaboul par le mollah Omar, "commandeur des croyants de l'Emirat islamique d'Afghanistan", même s'il n'est pas sûr qu'il se rende lui-même dans la capitale.

Il ne s'y serait rendu que deux fois depuis sa résidence de Kandahar (sud) où il séjourne, en reclus, dans une maison construite pour lui, par l'un de ses meilleurs disciples, Oussama ben Laden dont le domicile est proche.

Selon Yossef Bodansky, auteur d'un livre sur ben Laden, les liens entre les deux hommes sont devenus familiaux par le mariage en 1998 du mollah Omar à la fille aînée de ben Laden.

Depuis, ben Laden aurait pris comme quatrième épouse la fille de son gendre.

Commandant d'unité chez les moudjahidine, le mollah Omar a perdu un oeil dans les combats contre les troupes soviétiques d'occupation. Sa véritable ascension date de 1994, lors de la désintégration de la coalition des factions de l'alliance anti-soviétique.

Aux pires moments de l'anarchie en Afghanistan, ses efforts pour restaurer l'ordre et la justice selon les principes du code islamique, la Charia, lui ont valu, ainsi qu'à ses disciples (les taliban, ou étudiants des écoles coraniques) le soutien de nombreux Afghans.

Omar se construit rapidement une double réputation, d'autorité religieuse incontestable et de chef militaire redoutable.

Ses combattants taliban, soutenus par le Pakistan voisin et indirectement par les Etats-Unis, s'emparent de Kaboul en 1996 et contrôlent actuellement plus de 90% du territoire national.

En août 1999, le mollah Omar avait survécu à ce qui paraît avoir été une tentative d'assassinat. L'explosion d'un camion à Kandahar avait tué plusieurs de ses gardes du corps.

Son autorité sur le territoire contrôlé par les taliban semble ne souffrir d'aucune contestation et le siège du pouvoir réel s'est maintenant déplacé de Kaboul à Kandahar.

Malgré cette puissance, on ne sait pas grand chose de cet homme trapu, qui n'aurait pas encore 40 ans. Il a laissé la responsabilité de tous les contacts extérieurs à son ministre des Affaires étrangères, Wakil Ahmad Mutawakil, à une ou deux exceptions près, pour recevoir une délégation chinoise ou un envoyé spécial des Nations unies.

Selon ses proches, il vit modestement, se qualifiant de serviteur de l'islam. Il préside aux réunions depuis sa couche, et donne parfois des instructions sur de petits bouts de papier.

Eduqué dans les écoles religieuses, il est parti sans finir ses études se joindre au Jihad contre les troupes soviétiques en 1979.

Dix ans plus tard, après avoir contribué à leur défaites, il lance un mouvement musulman radical depuis son école de Singesar, dans sa région natale du sud de l'Afghanistan.

Son but était de renforcer la Charia et de défendre l'Afghanistan. Les réfugiés afghans éduqués dans les écoles du Pakistan se joignent au mouvement qui prend rapidement de l'ampleur.

Si nombre d'islamistes soutiennent ses théories, au Pakistan ou ailleurs, il s'est aussi attiré la réprobation de la communauté mondiale. Le régime des taliban n'est même pas reconnu par l'Organisation de la Conférence Islamique.

Selon sa stricte interprétation de l'Islam, les femmes sont virtuellement prisonnières de leur domicile, obligées de porter un vêtement, la burqah, qui les voile de la tête aux pieds lorsqu'elles sortent. Les hommes sont obligés de se laisser pousser la barbe et ont interdiction de la tailler.

Les photographies d'êtres vivants sont interdites, on ampute les voleurs, les meurtriers sont exécutés en public par les familles des victimes, les homosexuels sont écrasés de briques et les femmes adultères sont lapidées.

Ses combattants n'ont pas le droit de fumer.

L'an dernier, le mollah Omar avait blâmé le peuple afghan, l'accusant d'être responsable de la pire sécheresse de mémoire d'homme disant "Il y a des personnes en Afghanistan qui ne sont pas reconnaissantes envers l'Emirat islamique et le système islamique".
 

LE MONDE EN BREF DU MARDI 30 OCTOBRE A 04H00 GMT

   USA-attaque
   WASHINGTON - Les Etats-Unis sont menacés par une nouvelle attaque terroriste imminente, a annoncé lundi l'Attorney general (ministre de la
Justice) John Ashcroft.

   WASHINGTON - Le président George W. Bush a décidé de créer une cellule de crise pour interdire le sol américain à des terroristes étrangers et pour arrêter ceux qui s'y trouvent déjà.

   NEW YORK - Un habitant du New Jersey sans rapport direct avec la distribution du courrier a été diagnostiqué avec la forme cutanée de la maladie du charbon.

   WASHINGTON - Le département d'Etat a annoncé lundi que des traces du bacille du charbon avaient été trouvées dans ses locaux en plusieurs endroits, ainsi que dans une valise diplomatique envoyée au Pérou.

   WASHINGTON - Des spores du bacille du charbon ont été découvertes dans un centre de tri postal dans le bâtiment de la Cour Suprême.

   WASHINGTON - Des traces du bacille du charbon ont été trouvées dans l'immeuble du département de la Santé.

   WASHINGTON - Des traces de la bactérie du charbon ont été détectées dans un centre postal du département américain de la Justice, à Landover, dans le Maryland, près de Washington.


 



Ce jour qui fut un tournant dans la mondialisation
 

Le réveil est douloureux. Donc, une lointaine contrée, aride et montagneuse, déchirée par des luttes tribales du Moyen Age, l'Afghanistan, compte pour l'économie mondiale. De son sort, des tractations politiques conduites pour un brumeux "après-talibans", dépend la reprise ou non de Wall Street, la "confiance" des consommateurs américains, l'entraînement sur l'Europe, bref, la croissance de la planète.
Réveil, parce que depuis une dizaine d'années le monde économique s'enfermait de plus en plus dans une bulle ouatée, protégée des guerres et des malheurs d'ailleurs. Les pays d'Afrique s'enfoncent dans le chaos ?
Qu'importe, disait Wall Street. Débouchés faibles, ces pays ne comptent plus. Qu'on les laisse se battre ! Même la déconfiture de la Russie n'avait plus de quoi émouvoir outre mesure, une fois obtenue la garantie qu'elle n'est plus militairement menaçante pour l'Ouest. Son poids de PIB ne dépasse pas celui des Pays-Bas, nos économies y étaient devenues indifférentes. Le déclenchement de l'Intifada 2 n'a eu aucun effet sur l'expansion occidentale. Premier foyer de tension mondiale, le Moyen-Orient avait perdu son pouvoir de dérangement : Palestiniens et Israéliens se battent ? Et alors ? Du moment que le conflit reste circonscrit et n'affecte pas le cours du pétrole… 

Dans l'ère de l'économie triomphante, chaque Etat, chaque événement, ne pesait que son poids commercial. La politique étrangère américaine était devenue mercantiliste. Le "combien de divisions, le Vatican ?" était devenu "combien de consommateurs ?".
Etats-Unis, Europe, Japon et leurs satellites immédiats sont en paix depuis cinquante ans et font 90 % de l'économie mondiale. Ce qui se passe dans les 10 % restants n'était, cyniquement mais aussi objectivement, que de peu d'importance, hormis, bien entendu, les sources de pétrole et de matières premières surveillées de très près. Surtout, les pays développés ont trouvé avec l'informatique un nouveau moteur de croissance "interne" : des marchés neufs (téléphonie, Internet…) et de nouveaux modes de production plus efficaces.

Cette "nouvelle économie" ouvrait au nord une nouvelle phase de prospérité durable et autocentrée. Le capitalisme a eu ses périodes "extensives" qui appuient le développement sur la conquête coloniale de débouchés. Il semblait entrer, grâce aux nouvelles technologies, à nouveau dans une période d'expansion "intensive" durant laquelle il n'a plus besoin d'être conquérant puisqu'il trouve chez lui les forces de sa croissance.
Signe de cette rupture : pour la première fois en 1999, puis plus encore en 2000 et 2001, les flux financiers du Nord vers le Sud ont été plus faibles que dans le sens inverse. Le monde développé se repliait sur lui-même.

Le 11 septembre a tout changé. L'économie tombe de haut : voilà que la religion compte. Et la géographie. Et l'histoire.
Voilà que le monde ne peut pas se couper en deux parties étanches, l'une riche et sécurisée derrière un moderne système antimissile, l'autre laissée, tant pis pour elle, à ses guerres et son "archaïsme". La menace, jusque-là restée à l'état de vague hypothèse, est devenue réalité : le terrorisme a frappé aux Etats-Unis, à New York, à Wall Street, le World Trade Center. Voilà le neuf : les Etats lointains ne peuvent plus être laissés à leur anarchie. Ils sont devenus des repaires de terroristes, et ils envoient au Nord, par-delà les frontières, des réfugiés, de la drogue et maintenant des avions kamikazes.

La guerre du Kosovo a pu être un avertissement. Mais elle est à classer dans l'époque d'avant : si le monde riche s'en est préoccupé, c'est parce qu'elle se déroulait en Europe même et menaçait de s'y étendre.
Il a suffi de la contenir, par l'envoi de forces et d'argent. Cette fois, il s'agit de tout autre chose puisque des terroristes se sont attaqués directement au cœur de l'économie au Nord. Les combattre impose de se soucier de ces Etats qui leur servent de havre. Il y a plus. L'écroulement du World Trade Center a trouvé un écho dans l'ensemble du monde arabo-musulman (un milliard de consommateurs) et, au-delà, dans les pays sous-développés.
 
 
 

HYBRIDATION ÉCONOMIQUE 

Le djihad de Ben Laden a rencontré les ressentiments les plus variés nés des bouleversements qu'entraîne la mondialisation.
L'antiaméricanisme s'est accolé à l'antilibéralisme, l'"humiliation arabe" au mal-développement. Les militants antimondialisation avaient dénoncé ces dernières années la montée des désordres et des inégalités d'une économie qui, selon eux, tourne au seul profit de l'Occident. Le terrorisme rejoint ce message et le rend dramatique. Même si le terrorisme n'est pas né de la pauvreté, le vaincre passe par la lutte contre la pauvreté.

Deux scénarios sont possibles. Le premier est celui de la meilleure "gouvernance" mondiale. L'Occident, a dit Jacques Chirac, devant l'Unesco lundi 15 octobre, doit cesser d'imposer sa culture "essentiellement matérialiste" et "vécue comme agressive". La mondialisation doit "faire prévaloir l'intérêt des hommes" et se "civiliser", formule qui renvoie à la "mondialisation maîtrisée" de Lionel Jospin. Ces dernières années ont vu naître une forme de politique mondiale (regain tantôt de l'ONU, tantôt du G8, création de l'Organisation mondiale du commerce, du Tribunal pénal international…) encore très embryonnaire et déjà contestée. On assistait à un début de régulation des marchés (par le FMI, le G7-finances, les grandes banques centrales…) et à l'émergence d'une société civile plus ou moins bien représentée par les ONG (organisations non gouvernementales). Hybridation
économique et sociale, mixité culturelle, coopération mondiale, interventionnisme international plus prononcé dans tous les domaines : ce nouveau monde a une allure idéaliste, même s'il correspond à certaines évolutions constatées.

Aller plus loin ne sera ni facile ni rapide. Il faudrait que les pays arabes admettent leur échec économique et entament une révolution démocratique et sans doute religieuse. Il faudrait, de l'autre côté, que les Américains rompent avec l'unilatéralisme et cessent de se considérer comme le modèle capitaliste unique. La lutte  antiterroriste poussera-t-elle les uns et les autres dans ce sens ? Pas forcément. Le deuxième scénario est celui
d'un repliement plus étroit du Nord sur lui-même. L'interventionnisme international pourrait se limiter à son aspect policier : s'assurer que les pays anarchiques n'abritent plus de terroristes. Rien de plus. Le 11 septembre pourrait se traduire non par une  "maîtrise" de la mondialisation mais par son ralentissement pur et simple. Dans les pays développés, la surveillance des flux financiers renchérit les coûts de transaction et un néo- protectionnisme sécuritaire pourrait restreindre l'entrée des personnes et des biens. Dans les pays en développement, les flux d'investissements vont se tarir plus encore, les firmes multinationales étant tentées de rapatrier leurs usines délocalisées les plus sensibles et de fuir des pays jugés dangereux. Les premiers visés seront ceux du monde arabe alors qu'il faudrait, justement, les faire monter dans le train de la modernisation. Si la recherche de sécurité passe devant la recherche de profit, le commerce mondial se polarisera sur un axe Nord-Nord et sur la misère d'un Sud délaissé, le terrorisme continuera de germer.

Quand on examine les deux scénarios, les évidentes difficultés du premier rendent, hélas ! le second le plus probable.

Eric Le Boucher


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actualisé le 30/10/01