26 juin 2003
Mon père Georges
Aujourd’hui mon père aurait 110 ans. Il avait 50 ans lorsque je suis née, et j’ai l’impression de ne pas l’avoir connu. Je garde de lui un souvenir si imprécis, enfant il était pour moi comme un employé de la maison, si absent se levant très tôt pour le train d’écurie, et les travaux des champs. On le voyait aux repas au bout de la table parlant très peu. J’ai seulement quelques brides de conversations de lui dont je me souviens, rien de très affectueux .
A l’église il chantonnait à mi-voix , ce qui nous gênait.
Je pensais qu’il était heureux qu’avec mes oncles avec lesquels il aimait boire aux occasions de fête familiales. Ces soirs de fêtes il chantait et dansait la gigue. C’était un très bon danseur , parfois le lendemain il continuait la fête seul . Ma mère souffrait je pense dès qu’il prenait une bière, nous on désapprouvait mon père intérieurement , je ne sais pour les autres , mais moi j’étais triste dès que ma mère pleurait, .
Plus vieille, adolescente j’ai commencé à changer ma vision de lui. Lorsque j’arrivais de l’école , il était souvent la pour m’ouvrir la porte, je me disais " Il nous aime même s’il ne le dit pas " non ce n était pas un jasant mais un cœur sensible qui pleurait à chaque année en nous donnant la bénédiction. C’est la seule fois de l’année ou on pouvait l’embrasser. Nous étions timides devant lui, et je crois maintenant qu’il l’était autant que nous..
Lorsqu’il fut hospitalisé à l’hôpital Notre-Dame de Montréal pour son opération de cancer d’estomac, je faisais un stage comme infirmière en psychiatrie à Québec , et je suis descendue et l’ai veillé quelques nuits ..Il semblait content , disait aux infirmières qu’il aimerait mieux que je lui donne ses injections, évidemment je ne pouvais pas je n’étais qu’étudiante. La dernière fois que je l’ai vu il était hospitalisé au sanatorium de Macamic , son cancer étant très avancé , il était alors en phase terminale . Il m’a dit ce p.m. : J’aimerais mieux aller me jeter sous le train que savoir que j’ai le cancer.Il est décédé à 71 ans une semaine plus tard..
Il m’arrive très souvent de m’ennuyer de lui, de regretter de ne pas l’avoir connu, lui avoir jamais dit que je l’aimais. IL m’est arrivé parfois de chercher sa ressemblance dans un homme que j’aimais . Il m’arrive aussi de penser que ma relation difficile avec les hommes est du à ce manque que j’ai eu de mon père. Je lui parle souvent à cet homme , mon père que ma mère a commencé à aimer à 134 ans , qu’elle a épousé alors qu’elle avait 19ans et lui 36, et qu’elle a toujours aimé malgré leurs différences et leurs incompréhensions.
Marie-Carmen Dupuis , 26 juin 2003