Valbonne Août 2003
Sylvie
Le dimanche 17
L’aéronef s’est posé.
Par les hublots soulevés, ils regardent.
Ils n’iront pas plus loin que ce regard, ils sont prisonniers. Ils n’ont que ces quelques centimètres d’air où glisser leur regard.
Autour il y a le cimetière tranquille.
C’est le matin, et c’est la danse du matin, l’heure des danseuses enrubannées. Comme sur un rail, la ligne des danseuses figées traverse l’espace carré. Leurs tutus plissés presque à l’horizontale font des cônes aplatis irréprochables qui défilent doucement.
Elles sont passées.
Ils regardent encore.
Dans le tapis moussu les dalles aplaties respirent doucement.
Inspir. Expir. Lente respiration du dormeur.
Elles se bombent puis s’incurvent avec régularité, et vrombissent doucement.
Leurs yeux ombrés sont immobiles et ça vacille dans leurs veines. Ils sont comme des valises vides et ils attendent encore.
Là, le cliquetis sur l’aéronef. Les épingles tombent en grisaille, rebondissent, s’esclaffent et griffent et s’entrechoquent et à la fin se piquent - ou parfois se couchent - sur le tapis moussu.
Ils ont vu passer les griffures, ils referment les hublots.
Le dimanche 17, encore :
La vieille femme ridée qui avance chargée elle n’a plus rien à craindre. Elle avance avec les embruns et les retouches, les bleus dans les jointures, le chargement de craie, la mâture et tous les alluvions.
Et la petite vient à sa rencontre, en boucles fraîches.
Il y a un oiseau qui les regarde.
Le soir du dimanche 17, et j’ai continué le lundi 18
D’abord il y a eu du tangage, et ce tangage était des récits nouveaux. Et le grand âge aidait les cris nouveaux. C’est en kyrielle que tout s’est excité et rien de ce qui s’excite n’a existé sans ciel. C’est en ciel qu’était l’envie, et l’envie fêtait la rivière saisonne. Et la rivière a ployé dans la nuit, et l’ennui ne l’a pas choisie. Il y a eu foisonne, essayée à plume et roseau, qui plaisait aux gens. Mille avenues de très loinpour entêter la poussière, pour que poussent les flux hardis. Mille entrechats buissonnèrent, mêlés des riiens les plus lunaires. L’ample crinière qui repère chacun semait dans la ronde. Elle aidait dans la ronde, et la ronde héritait des ailes, et la ronde n’était pas tenue. Elle est connue chez les riens et les riens n’y sont pas dessus. Mais elle a mené tous ceux qui l’ont revue au long soir du revenir dansant du bruit des roseaux. Ceux qui s’enfuient des ailes ne laissent ni filin ni dévidoir d’éclair ni dilapidé. Et nous avons beau planter et boire, la foire de la brique et du fer, reine des glaces, a déshérité. Quand c’est arrêté, on l’a pliée. C’est depuis que je puisais : celui qui tient en serre-moi va naître en ramant des mois parce qu’il hésitait à l’en-bas. Parce que nous avons tous aussi une longitude, et trace pour trace. Parce que la soie a éperonné l’argent, parce que l’embrasse et l’immérité sont tenus vraiment. Personne n’a jamais lu ses horizons. Celui qui m’a fait fenêtre, c’est le cirque des dix-huit roseaux qui est au plein du circuit des eaux. Quiconque voit sa vie sans eau pleure. Le sort n’insiste pas.
Thème et variations
Thème :
Et ça s’éponge, ça ?
Oui, comme une écluse.
Variation n° 1 :
Ça que voilà, dis-moi là-bas,
ça que voilà, mais ça s’éponge ?
L’éponge-ci, l’éponge-là,
éponge oui, comme une écluse.
Variation n° 2 :
(avec les interventions des ouvriers du chantier)
Le roi là-bas, il y va. C’est le roi des éponges et du vent. Le roi là-bas
-- ya un problème de robinetterie –
le grand roi blanc ya son manteau qui traîne
-- c’est presque O.K. –
Le roi grand berger des écluses
-- je sais pas ce qu’on va faire, c’est tout –
le roi les sonne, les écluses, ave son bicorne de vent
-- on va pas laisser ça là –
Elles s’ébrouent, ça les amuse, elles s’extirpent des canaux, tressautent et s’agrippent, queu-leu-leu sur le chemin blanc, elles trébuchent en rigolant, elles claudiquent et bringuebalent, ô les écluses.
Variation n° 3 :
( dite variation des Fourmis )
Les fourmis c’est un monde
Un monde en rond comme une éponge
vider remplir aller venir
entrer sortir entrer sortir
Les fourmis sous mon front arrêtez-vous un peu
Les fourmis recommencent
et prennent et portent et vident et captent et
remplissent et engrangent et trafiquent et commercent et reprennent et s’affairent
monte descend monte descend monte descend
tête remplie vidée remplie vidée
l’écluse.
Variation n° 4 :
( dite variation du dictionnaire )
éponger : verbe transitif, étancher avec une éponge ou un chiffon
écluse : nom féminin, ouvrage hydraulique destiné à retenir ou lâcher l’eau selon les besoins.
éponger l’écluse : étancher l’ouvrage transitif avec un chiffon destiné au féminin selon le besoin hydraulique de lâcher l’éponge
les eaux les eaux
épongées éclusées écoulées reculées roucoulées
les eaux les eaux
eaux des éponges eaux des écluses
les eaux toujours renouvelées
Retour au thème :
Et ça s’éponge, ça ?
Oui, comme une écluse.
le mardi 19 :
La tante ( version " elle " - " je " )
Psch psch pscch pssch pssch
Les pas glissés réguliers sur le sol pavé
Psch psch pscch
Ses pas rectilignes, la tante. On l’appelait la tante de la Renaudière. Je crois bien qu’elle s’appelait Alice. Lui, l’oncle, c’était Paul, ça c’est sûr. Elle, on l’appelait du nom de la ferme, la Renaudière, une grande ferme après chez les Fourchet. La grande cour fermée avec les chiens qui gueulent. Ils sont attachés mais j’ai peur quand même. Vivement qu’on soit dedans, dans la cuisine, carrée aussi. Les bancs qu’on enjambe, on est attablés. Et là, psch psch, les pieds de la tante qui frottent le pavé, et au-dessus, les verres et les petits gâteaux qu’elle avance pour le coup à boire. Je reconnais les biscuits de chez Enadan, l’épicerie, c’ est les longs paquets transparents. Elle est en contrepoint, la tante. Un rire qui n’est pas un rire, plutôt un bruit de gorge un peu long, qui souligne les mots des hommes.
Un jour beaucoup plus tard, je suis sortie d’enfance, je la revois la tante. Ils avaient laissé la ferme à Muguette, et ils étaient à Chassant, dans un pavillon. Et là j’ai vu qu’elle était vieille. Elle avait toujours ce gloussement prolongé après les paroles des autres. Le psch psch, c’était peut-être là que je l’ai remarqué. Pas à la Renaudière. Elle s’était un peu ralentie, et ses jambes étaient comme collées sauf tout en bas, pour laisser les pieds se glisser et l’avancer de quelques centimètres à chaque pas. Je la regardais. C’était une personne vivante. Pas une figure immuable – quand on est enfant, tous ces gens de plus de 40 ans, qu’on voit vieux, et qui appartiennent au décor, comme des statues -- .
C’était une vieille personne attendrie. Attentive. Ralentie et présente. Elle parlait avec des mots qui avaient traversé les siècles, et disait " on a ben d’l’agrément ". Elle était pleine. Elle avait une histoire.
Je ne l’ai plus revue. Un jour on m’a dit : elle est morte.
La tante ( version " je " - " elle " )
De la cuisine au jardin, du jardin à la grange, de la grange à l’étable, … des pas, tous ces pas que j’ai faits, des pas qu’on fait toujours, souvent sans y penser.
Je me souviens, avant.
Avant ils disaient pas Alice, ils m’appelaient " la tante de la Renaudière ", du nom de la ferme. La cour carrée, les chiens qui gueulent. Elle en avait peur, la petite, ils étaient attachés pourtant, mais c’est vrai qu’ils gueulaient, il fallait vite entrer dans la maison, ça la faisait pleurer et elle s’accrochait à sa mère.
Ils enjambaient les bancs pour s’attabler, et on buvait un coup. Moi j’apportais l‘assiette aux petits gâteaux. J’aimais bien les entendre parler. Parler du temps, des champignons, ou des affaires de la commune, ou bien des fois ils racontaient les temps d’avant, j’aimais bien les entendre. La petite, je suis servais de la grenadine, elle aimait ça, et puis des fois je lui donnais des vieux calendriers à découper.
Ils sont revenus nous voir ici, depuis qu’on a laissé la ferme à Muguette. On y est bien dans ce pavillon, avec Paul. Cette véranda, c’est bien, pour mes plantes, l‘hiver
La petite avait bien grandi, elle est devenue une jeune fille, et elle a pas dit pas grand chose. Elle regardait. Elle a dû me trouver changée aussi. C’est normal, j’ai vieilli. Etj’aime toujours autant les écouter parler. Je me suis un peu ralentie, mes jambes elles avancent plus bien vite, elle sont comme collées, sauf tout en bas, et mes pieds ils avancent qu’un petit peu chaque fois. Un petit peu. Des tout petits pas sur le pavé. Elle m’a regardée, elle a l’air gentille, mais elle dit pas grand chose. Dans cette nouvelle maison, ça me faisait une nouvelle existence. Les vieux, quand on est enfant, on ne les voit pas vieillir, ils sont vieux, c’est tout. Et maintenant c’était autre chose, elle écoutait les mots que je disais. J’ai été bien heureuse de tout ça.
Les gens, ils sont toujours les mêmes, mais avec les ans qui passent, ils voient autrement.
Je ne sais pas si je la reverrai. Peut-être qu’un jour ils lui diront que je suis morte.
émission émission
émission d’oxyde de carbone
émission d’ultra-sons
émission
j’émets tu émets il émet
verbe aimer ou verbe émettre
il aime émettre
et s’étourdit
il met des sons
dans sa valise
valise à sons
chansons
scions scions du bois
amis scions
les missions
mission courage mission lombaire mission longue durée
mission mets-toi dans tes baskets
mission valise, ou pas-valise ?
mission serrer les poings
faut rien laisser passer
mission brouillée
la bourbouillade à la tomate
mission moitié-moitié
mets-toi là à côté
on tient
y a pas besoin de faire de bruit pour tenir