Nicole


Satisfactions

Le rire

Variations

Hammam

Aux hospices de Beaune

Soirée vocale à la Chartreuse de Valbonne

Nuit étrange à Pont St Esprit


LE RIRE

Le rire court dans l’allée du château des ombres. Des gouttes de pluie tombent des érables et le transpercent de mille piqûres. L’eau reste figée sur le lichen de sa peau ridée.

Il étouffe.

Le rire erre dans la vigne immense et menaçante. Les ceps quittent leurs rangs et transforment l’espace en labyrinthe.

IL s’affole.

Le rire reprend sa course folle et arrive enfin à la seule issue: le cimetière des rires étouffés. Dans chaque tombe gronde un tonnerre d’impuissance. Il ferme vite ses ouïes et rejoint, angoissé, le figuier prés du mur.

IL se pose un instant...

Un seul instant, car un jus glauque suintent des figues fripées. Le rire repart et franchit dans sa panique le buisson qui obstrue l’espace entre la grille et le mur. C’est un buisson de ronsourcils en colère.

Il est épuisé.

La douceur de l’air sort alors le rire de sa torpeur. Des pépites de lumière scintillent.

Il peut enfin rire en cascade.

Nicole-Valbonne



variations

Les balanciers oscillent et perdent leurs ombres colorées au gré du vent.

Les balanciers oscillent et perdent leurs ombres colorées au gré du temps.

Les balanciers oscillent et perdent leurs noms colorés au gré du temps.

Les mariniers oscillent et perdent leurs ombres gravés au gré du vent.

Les mariniers oscillent au gré du vent.

Leurs veuves perdent leurs noms gravés au fil du temps.

Les tables oscillent et perdent leurs pieds au gré du vent.

Les tables oscillent et perdent pied au gré du vent.

Les âmes oscillent et perdent pied au gré des vents.

Se recentrer petit à petit sur les points d’intersection des lignes de sa vie.

Se noyer grain à grain sur les points d’intersection des vignes de sa vie.

Se noyer grain à grain dans le vin d’ éternité des vignes du Seigneur.

Elles se noient grain à grain dans le vin d’ éternité des vignes du Seigneur.

Se recentrer petit à petit sur les points d’intersection des lignes de sa vie.

Se déplacer pas à pas sur les lignes d’intersection des points de sa vie.

Se lover petit à petit dans le coin d’intersection des lignes de sa vie.

Se lover petit à petit dans le coin d’imagination d’une autre vie.

Se recentrer petit à petit sur les points d’intersection des lignes de sa vie.

Se recentrer pas à pas sur les points d’intersection des lignes de sa vie.

Se déplacer pas à pas sur les lignes d’intersection des points de sa vie.

Se déplacer pas à pas sur les lignes d’évolution des points de sa vie.

Se déplacer pas à pas sur les lignes de partage des abîmes de sa vie.

Des mariniers chavirent.

Leurs âmes oscillent et perdent pied au gré des vents.

Leurs veuves oublient leurs noms gravés aux fils du temps.

L’un et l’autre se noient grain à grain dans l’éternité des vignes du Seigneur.

Il y a ceux qui se lovent petit à petit dans un coin d’imagination d’une autre vie
Et ceux qui évoluent pas à pas sur les lignes de partage des abîmes de leur vie.

Nicole-Valbonne



HAMMAM

Les murs sales, le béton et la pierre brute. Je suis immergée dans le clan des femmes. L’arabe résonne. Quelques traductions......

Je découvre les vieux corps que chez moi l’on cache. Les rides établissent leur territoire sur tout le corps : visage et cou ne leur suffisent plus. Les seins les plus variés se côtoient, se meuvent: arrogants de jeunesse, happés par des petites bouches avides, délaissés parce qu’inutiles. Les fesses s’étalent, les corps s’allongent. Ils seront tour à tour transpirants, arrosés, retranspirants, massés, frottés, retournés puis lavés, huilés, parfumés, choyés.. .Les youyous se déchaînent. Je chavire.

Je sors du hammam.

Nicole-Valbonne


Aux hospices de Beaune

Les corps des malades craquent, se déchirent, se resserrent,

se contractent, se relâchent,

se tordent, s’essorent, se liquéfient, se vident,

s’arc-boutent,

se tendent, se détendent, se retendent,

transpirent glacés, suent chaud,

se désintègrent, se dissolvent,

se durcissent, se flétrissent, se fissurent, se tachent, se bouchent,

se nouent, se dénouent, se renouent,

se creusent, se gonflent, tiraillent ;

arrachent des cris, des plaintes, des colères,

provoquent des abattements,

réservent quelques répits;

dilatent les yeux, crispent les mâchoires,

blanchissent les cheveux

et conduisent les malades sur les chemins de l’essentiel.

Nicole-Valbonne


Lundi soir. Il est tard.

Le groupe arrive en silence, guidé par un halo de lumière tremblante.

SOIREE VOCALE A LA CHARTREUSE DE VALBONNE.

Elle est bonne celle là! Moi qui avait entendu parler de chants baroques. Point de concert toutes ouïes ouvertes. Non, non, non! Nous sommes debout, en cercle dans un immense rectangle cloîtré. Si petit ce cercle que l’on s’y touche des épaules. La voix? Tu penses! A peine des murmures et même pas les yeux ouverts! Rien qui ressemble à du chant: chuintements, bruissements de bouche, clapotis de gorges, percussions de langue, souffles essoufflés; soupirs infinis, timides, provocants; air pulsé, ramassé, projeté.

Sonate pour mare et insectes au crépuscule d’un été, chaud!

Voyons la suite. Halo lumineux.. .Le même groupe silencieux contre portes et couloirs, hésite, fait demi-tour et s’agglutine dans un coin du petit cloître. Petit le cloître !(promenade pour un moine à la fois; allez ... maximum deux, mais avec des petites jambes.

Consigne n0 i :Cette fois, nous avons droit aux voyelles. Figurez vous que celles-ci, sortant de notre bouche lors d’un cheminement solitaire, auront le pouvoir de nous indiquer notre place et de nous y laisser. Le silence revenu, un autre stagiaire se lancera. J’ai bien dit :se LANCER.Car, je peux vous confier ceci maintenant que c’est fini: je n’aime pas du tout ce genre d’expérience. 1)On est tout seul à faire et pas les autres.

2) Vous produisez les sons; eux, ils écoutent. Seul avantage dans l’histoire: dans la pénombre, on ne sait pas qui s’est lance.

Bon, tout le monde est en place pour la consigne N02: reprendre les voyelles, tout le monde ensemble, avec variation sur l’échelle des volumes. En avant la cacophonie! Euh.. .C’est pas ce qu’elle a dit.. ..Ah oui! La polyphonie. Alors moi, au début, j’ai pris des petites voyelles, des petits sons, ceux de la vie de tous les jours qui sortent tout seul. Pas les autres, ceux qui grondent dans la poitrine, qui coupent le soufflent, qui nouent la gorges et montent au bord des paupières. Et puis, c’est drôle tu vois.. .Tous ces sons ensemble dans le petit cloître, c’était presque joli! Etonnant. J’ai fait comme les autres: variation de voyelles, crescendo, decrescendo et déplacements savants. Eh oui! Là où tu mettais deux moines en promenade, nous sommes quinze! Pas question de faire son petit concert tranquille sans être influencée par les autres! Ça a fini par grouiller là-dedans. La mare était bien loin! La forêt tropicale s’imposait avec ses sonorités jubilatoires. Ouh là là! Il a fallu un "On y va, on y va." a répétition pour arrêter la musique; sortir en catimini; rejoindre l’église et attaquer les choses sérieuses: l’apprentissage d’un chant à trois voix.

Pour finir, c’était bien la soirée vocale de lundi soir. Faudra 1’ dire aux animatrices!

Nicole-Valbonne


NUIT ETRANGE A PONT ST ESPRIT

Conséquence des violents orages qui se sont abattus sur la région, le Rhône est sorti de son lit à Pont St Esprit. Nous pourrions même dire à St Esprit car le célèbre pont du treizième siècle n’est plus qu’un souvenir. Aucun spiripontais ne peut expliquer ce phénomène étrange.

Il devait être environ trois heures du matin quand les eaux ont envahi les voies sur berge. C’est alors que pompiers, policiers, habitants en détresse ont réalisé que l’eau était chaude! Des sonorités graves, profondes, lancinantes s’échappaient des eaux qui furent bientôt en ébullition.

Le fleuve bouillonna une bonne heure et ne se refroidit qu’à l’arrêt des sons bouleversants.

A ce moment précis, les personnes présentes virent le pont s’enfoncer lentement, majestueux, à la même vitesse d’un bout à l’autre de ses 900m de longueur.

Un journaliste dépêché sue les lieux a pu enregistrer l’insolite mélopée. En voici une proposition d’écriture:

RAMADAM Y LO FOU RAMADAM Y LO DAUCH RAMADAM Y LO lOTI PONT.

Nous apprenons à l’instant qu’une équipe de scientifiques sera sur les lieux dès demain pour analyser cet étrange phénomène.