Jacqueline



Le cloître est décoré *

La cour, la contre visite *

Variations

Poème ; Glycines ; Le bouquet *

Blanche de la force et ses sœurs *

Texte pas écrit ; Comment dire ; Homme et Femme

Prise de son à Pont St Esprit *

Micro, macrocosme ; Métaphores *

Prologue *





LE CLOITRE EST DECORE


Gène, obstacle à ma lumière;
Refus:    »On ne devrait pas. Il faut que cela cesse»; Déplaisir;
Ma méditation est coupée, sa transparence égratignée; La liberté de mon regard est
bafouée; Ces peintures m’importunent

Effort à faire pour oublier, passer outre; oublier cet autre qui s’impose et me pèse; qui fait du bruit et des dessins, lourdement; et demande, et exige: «Redescend, regarde-moi ».

Un cloître doit être, selon l’usage, vide et nu et vaste, et sonore, et grand et beau ; et l’âme s’y promène, entre pierre, ciel et eau.

Mais là    Révolte, pas envie    Ces dessins, si simples, si naïfs... .oui, je sais:
« l’espace, le trait, le plein, le vide, l’intérieur, l’extérieur»  Fatigue.

Naïfs? Voire:
Le pinceau là n’a rien fini, juste suspendu son trait. Il s’est arrêté», n’aboutit pas, me laisse en plan.
Il n’a pas renoncé; Dés le panneau suivant, il recommence, reprend l’espace, MON espace, l’occupe, puis le laisse, pour rien, juste pour me déranger; Pas envie d’être dérangée, envie d’éponge et de détergent.

Espaces percés, non finis, incontinents, mal contenants. Limites inachevées qui m’entravent sans m’aider; Viol et hermétisme, en violet, s’il vous plait. Portes ouvertes sur le mur. Où aller? Dans quel sens, Où est le sens?

En plus, c’est laid; Images impures, moignons impudiques, doigts tronqués, turgescences minables, grappes de grains sans peau, cerises et corne d’abondance vides, ballons en berne au bout de leur ficelle; Les escaliers montent et ne redescendent pas, les courroies ne transmettent rien, les chemins avortent et la peinture s’écaille.

Et c’est triste: Panier que ses fruits quittent, bulles qui laissent tomber la baignoire, citadelles vides, créneaux de pacotille, rectangles rayés, raies sans rectangles. Les pas enclos dans le chemin se retrouvent orphelins. Une légion inconnue a laissé de lourdes traces rouges cadencées; Les ressorts se tendent pour rien.
Oui je sais, j’exagère. J’outre; mais j’ai mal à la tête et je cherche une cohérence à ce délire;
J’aperçois la fantaisie: Rivières naïves, flots bleus, bâtons alignés, bilboquets, clavier de touches jaune très foncé, franges rouges, pelote de laine grenue, postes de télévision pattus, cibles vertes sur croisillon gris, matelas multi spire, équerre de maçon rouge, petits haltères pour bébé, transat volant farfelu.

Beauté, laideur; des goûts et des couleurs... .qu’est-ce à dire?
Sur la vitre neuve, on trace un signe pour ne point s’y cogner; La vitre propre ne se voit pas, et sale... .elle déplaît. Dedans, dehors, envers, endroit ; A l’envers, on voit les coutures, A l’endroit, que voit-on?

Je cherche l’ouverture: Soleil incas et astres ronds et rouges, au dessous, la porte est ouverte.
Sortir, changer de belvédère, pour regarder, autrement, la même réalité ; du jardin, voir la lumière et les couleurs qui fulgurent et le buisson devenir ardent.

Je n’aime pas, finalement; mais du cloître, j’ai pu sortir; la porte est immense, et l’air très pur.
 


LA COUR LA CONTRE VISITE


Il faisait toujours beau dans les cours d’hôpitaux; La Timone, L’hôtel Dieu, La Conception, Sainte Marguerite;
Les marronniers, leurs fruits roulés au sol, bogues vertes éclatées;
L’hôpital Saint Joseph, les robes bleues, et les cornettes blanches glissent; odeur de tisane, longue attente, Maman s’ennuie, je joue avec Sylvie.
Les platanes, morceaux d’écorce à peindre, nous ramassons des marrons, je les choisis lisses et frais et brillants.
Dans les allées, des malades en pyjama; Là bas, brinqueballe du linge sale sur un chariot.
Silence, bruit violent: une auto, un hurlement d’enfant; bruits feutrés: Chuintement d’ascenseur; pas rapides et glissés, plaintes étouffées;
Moiteur, putridités;
Salle d’opération blafarde sous son scialytique vert; cliquetis métallique d’un chariot dans le couloir, bruit d’instruments, choc mou du pansement souillé qui tombe. »Pince Kocher, Catgut N05. Valérie, un autre, s’il vous plait »
Papa tarde. Le ciel est frais, petit matin docile de printemps débutant~ Nous jouons à la marelle.
« Oui, ramenez-le; J’irai le voir en partant, c’est bien la chambre 4? »
Il se sentait bizarre sur le lit roulant, qui l’emmenait, parallèle au plafond qu’il ne regardait pas. Léger vertige, glissando de l’ascenseur, arrêt, la porte de la chambre; Frôlements, chuchotements, blancheur; le lit est frais; pas encore mal. Un peu de nausée, dormir,» le chirurgien passera tout à l’heure » ; sombrer, basculer.
Discipline bleu marine .Univers clos. Sage, elle écrivait et travaillait. Tout la nourrissait: Grec, latin, français, anglais, histoire, et poésie, et les cérémonies, et le cours de peinture.
Elle lisait, écoutait, et s’envolait; Grave et réservée, aimante et renfermée, timide, bloquée.
Mais elle rêvait, et s’élevait. Du fond des cryptes, le long du cloître, à la chapelle, avec l’encens, la flamme des cierges, et les chants.
Les couloirs étaient laids, les odeurs aigres ou rances, les corsets raides, les élèves dissipées. Peu importait: Sévère, sérieuse, à corps perdu, de tout ce miel, elle s’enivrait.






GLYCINES


Ton coeur bat, douleur.
Odeur violette, violente, grappe de glycine lourde et fraîche que tu aurais aimé cueillir et bercer.
Plus tard, à ta fenêtre, il y aurait une glycine. Une nuit pendant l’orage, elle tomba; Ficelle cassée.
Tu n’as plus de chambre ouverte sur le jardin. Lui parti, tu as développé et planté un chèvrefeuille. Ses légères grappes d’or pâle embaument et ses vrilles agrippent la clôture




LE BOUQUET



Fleurs légères, ailées, envolées;
Fleurs foncées, étoilés, intenses;
Bouquet de tiges aériennes et drues
Jaillissement de pétales roses,
Papillons mauves, corolles subtiles, ouvrant grand leur coeur,
Boutons verts éparpillés dans l’espace,
Eau claire nourricière,
Dans le vase transparent
Sur la table chargée de papiers sages,
Bouquet léger devant le mur blanc.



BLANCHE DE LA FORCE ET SES SOEURS

Assez, assez; assez, assez!
Assez de soucis, assez de sérieux, assez, çà suffit.
Il y eut la sage Blanche Neige qui lavait à grande eau la maison des nains avant d’attendre son prince dans un cercueil en plein soleil.
Il y eut les Saintes Maries et Madeleine, qui franchirent en barque la sombre mer, puis s’engloutirent au fond des cryptes et des cavernes;
Il y eut Blanche et sa force qui malgré sa peur, avec ses soeurs, chanta jusqu’au supplice;
Il y eut ces femmes écrasées qui cachèrent l’enfant indu sous leur bustier, puis leur douleur sous leur devoir.
Et ma plus jeune soeur, qui veut éradiquer la soumission, mais la porte encore. Creuser, descendre, le minerai est au fond, dans les noires galeries. Descendre sans fin, et du fond du noir, espérer la lumière~
Le forage fait mal, la roche vibre et résiste, sans fln, l’axe tourne. Vis qui monte, durement, dans le vide.
Vis sans fln, vie sans fond, des mineures perpétuelles, à l’abri de leurs pères et maris; courageuses, qu’elles se résignent ou rechignent, laborieuses, attachées à la maison, l’église, l’école et la kermesse.
Raidies, empesées, bien obligées, « Ma fille, ma fille, il faut prier, la famille a beaucoup péché; ma fille, du vice, il faut vous garder »
Légère, délurée, ... quelle horreur, et « vous savez, il paraîtrait que... »Mais... « On lui a trouvé un bon parti, la voilà rangée »Les familles se rassérènent et les femmes se taisent.
A son foyer, dévouée, la femme s’active, et si l’enfant meurt, elle se déchire, puis se mure.
Interdit de séduire, dangereux de plaire, défendu de jouir, mieux vaut s’ensevelir. Légère, légère, elle aimerait s’en aller, pieds nus, cheveux au vent, sans son chapeau ni ses gants, elle rirait et chanterait et flirterait.
Pire, dévergondée, effrontée, vulgaire, en cheveux, dans les cabarets, elle danserait, ses jupes relevées;
Pour chanter, il y a la Sainte Messe, et les vêpres; Pour danser, il y a le bal annuel de la Comtesse, Pour aimer, il y a les enfants    Et nos maris Et pour     
« Le voile doit tomber en plis réguliers sur les cheveux préalablement nattés; la modestie et la chasteté conviennent aux épouses »








PRISE DE SON A PONT SAINT ESPRIT


Rien, rien, plus rien, éteint
Silence, soleil plat, eau sèche
Ciel abattu, sol disloqué
Lune ternie, homme atteint
Monde détruit.

Mes melons, mes melons!
Vé mes tomates! Dix euros le kilo!
Hé bé, c’est des pastèques tes tomates, des coucourdes!
Si t’en veux pas, t’en dégoûtes pas les autres; Hé fada, va donc te faire un panier
d’esques!
Y en a, y sont tombés trop tôt de la couveuse, et çà donne çà!

Ils chuintent, passent, menacent, envahissent,
Ils toussent, grincent, grimpent, atterrissent,
Ils crissent, grincent, tremblent, frémissent,
Les nouveaux envahisseurs, de la terre, du ciel, et des eaux.

Le flot déferle, la lame lourde s’abat,
La lutte est limitée, lucidité;
Eclair, engluée, engloutie, éliminée;
Soulevés, délogés, roulent les gros galets.

Pierres dures, acérées; échelles hautes;
Chutes, dégringolades, éboulis, fracas,
Marteau, maillet, ciseaux
Crissement, martèlement, frappe
Ahanement, cadences, labeur,
La cathédrale s’élabore.

Veni Creator Spiritus, Mentes Tuorum Visita!
Volutes d’oraison, soutanes brunes, chuchotis priant;
Les corps s’agenouillent lourdement.
Tintement léger; les fronts se relèvent, les regards s’extasient; le calice reçoit sa
lumière du vitrail;
Les silhouettes se replient et le murmure reprend;

L’homme là bas commande, étincelant;
La discipline est cadencée, les voix fortes,
Les casques et les cuirasses rutilent,
La légion va s’ébranler.
Micro, Macrocosme

Assise, à l’abri de la paille ajourée de mon chapeau, je regarde le village immobile sous l’épaisse chaleur, le vert moutonneux de la forêt, le rose plus rêche des bâtiments; Les voitures ont fait silence; le long de la route, le pas uni, un groupe de pèlerins s’éloigne. Sur mon genou, se pose un gros avion distrait qui redécolle aussitôt.
Sur les toits, scintillent quelques tuiles précieuses. Des cheminées font champignon, quelques lutins assoiffés de ciel en soulèvent le couvercle à bout de bras. Coquins, les habitants phallophiles ont dressé leurs idoles plus ou moins drues.
En contrebas, le petit peuple s’agite. En files actives, les fourmis rebaissent la grande Muraille. Sur un tertre moussu, un gros aéronef luisant s’est échoué; il intrigue les ouvrières qui le visitent à l’heure de la pause;
A l’ombre des plants de vigne, le cimetière, paisible et vrombissant. La terre mouillée en est toute remuée, les énormes fourmis fossoyeuses vont goulûment de trou en trou, les cailloux épars marquent les tombes. Une grappe effondrée au sol semble le jupon mou de taffetas violet d’une jeune disparue. De la terre émerge àpeine un petit visage blanc, à jamais figé sur sa stèle de marbre en hélice.
Le village fut guerrier: En témoignent l’épée dressée en plein ciel par le clocher, l’armure scintillante des tours et clochetons, et l’alignement le long des tuiles de la Grande Armée défunte du grand roi fou de Chine.
Sur la gauche, la haie vert sombre des grands moines sentinelles, veille encore, muette et droite.
La paix revenue, le long de la colline, se courbent en oraison les arbres pénitents, tandis que les hautes fleurs étoilées de chicorée offrent au ciel ce calice de nectar bleu autrefois si amer.



Métaphores


Petit visage pur de l’enfant qui fut,
Escargot blanc à la coquille dure
Vestige marmoréen
Etoile bleue de chicorée
Haute sur sa tige
Volcans terreux qu’arpentent les fourmis fossoyeuses
Nectar amer de ce calice qu’il a fallu boire
Reptile luisant dont la peau gaine les tours
Taches de lichen sur tout le corps
Pampre violet effondré
Jupon affaissé de la jeune fille dévastée
Soleil lourd, orage sec,
La cloche se tait.



etc

PROLOGUE:



D’abord, il y eut la Musique, et la Musique était Joie; C’est par la Musique que tout a pris corps, et sans elle, rien n’existe.
En elle, vibrent la vie et la lumière; Et la lumière a brillé dans la nuit, et la nuit s’est éclaircie;
Et la vraie lumière qui éclaire le monde vint à chacun; Elle irradia le monde et lui donna vie.
Il y eut des envoyés de la Musique, témoins de la Musique, et qui la firent jaillir. Elle vint aux hommes, et certains l’abîmèrent, et certains la refusèrent.
Mais chez ceux qui l’ont reçue, naquit la Joie. Ceux qui s’en nourrissent, simples humains, s’élèvent à la Joie pure.
Oui la Musique s’est donnée aux hommes et répandue sur le monde, et nos oreilles ont entendu sa gloire et sa beauté;
Sonnent les orgues, jouent les trompettes. La Musique est ma source, les sons nous ont précédés, ils nous entourent et nous prolongent.
Et, de la Musique, nous recevons l’extase et la plénitude, la grâce et l’allégresse. Parce que la Musique nous a été donnée, nous pourrons désormais être comblés, transportés.
Personne n’a jamais vu la Musique. Pour la connaître, il faut l’écouter, la jouer; s’y plonger, immerger, régénérer.
Quiconque rencontre la Musique meurt à l’absence, et s’irrigue de Joie. L’absence n’existe pas.