Marc-Alain Descamps est docteur en psychologie et psychanalyste. Il publie, en 1972, une thèse sur le nu, qui lui confère aussitôt l’étiquette de " psychologue du nu ". Il est l’auteur, entre autres, de "Vivre nu" (Ed. Trismégiste, 1987), "Ce corps haï et adoré" (Ed. Tchou/Sand, 1988), "Corps et psyché" (Ed. Hommes et Perspectives, 1992).

Depuis quand la nudité est-elle condamnée ?
Chez les Blancs, depuis deux mille cinq cents ans environ. Le courant proscrivant la nudité est apparu en Iran, puis a gagné la Grèce, avant d’être véhiculé par une tendance minoritaire du christianisme représentée par saint Paul. Laquelle a fini par triompher. C’est une confusion culturelle – religieuse – entre le corps et le sexe (symbole du mal aux yeux du christianisme) qui a motivé cette condamnation et engendré une phobie du corps, une " somatophobie ". Simultanément s’est dessiné un antagonisme entre le corps – impur – et l’âme. Cette somatophobie est moins présente chez les peuples nordiques – Danois, Suédois, Allemands –, le protestantisme étant plus tolérant que le catholicisme vis-à-vis de la nudité.

Les jeunes enfants se montrent nus sans aucune gêne. Puis, brutalement, ils se révèlent aussi réticents que les adultes. Pourquoi ?
Parce qu’après l’âge de 3 ans, on leur fait comprendre que ce n’est pas convenable : c’est ainsi qu’ils acquièrent l’idée de la pudeur, inculquée autrefois à coups de taloches. A la puberté apparaît une autre forme de pudeur qui, elle, s’apparente à la honte.

Comment distinguez-vous pudeur et honte ?
La pudeur est un sentiment " normal ", une réalité sociale : on n’arrive pas en maillot de bain à une soirée entre amis, on ne déambule pas nu dans la rue. La pudeur est liée au respect de soi, de son intimité. La honte, en revanche, relève de la dépréciation de soi, de la culpabilité, de la faute. Mais la frontière entre l’une et l’autre n’est pas toujours très claire : on passe rapidement de la pudeur à la pudibonderie qui, elle, n’a rien de structurant. Un exemple : dans "Paul et Virginie", le roman de Bernardin de Saint-Pierre, l’héroïne préfère mourir noyée lors d’un naufrage que de se déshabiller.

Que penser des femmes qui sont incapables de se dénuder, même devant leur conjoint. Est-ce pathologique ?
Pas réellement. C’est surtout le résultat d’une éducation qui a transmis à ces femmes une idée honteuse de leur corps. Dans l’inconscient collectif, se montrer nu devant le miroir ou face au regard de l’autre est démoniaque. C’est pourquoi de nombreuses femmes ne peuvent faire l’amour que dans le noir. Aujourd’hui, on assiste à un retour en force de la pudeur, venant contrebalancer les excès des années 60-70 : trop de parents ont, à cette époque, exagéré, en imposant abusivement la nudité à leurs enfants ou en s’exhibant devant eux pour paraître libérés.

Certaines personnes n’osent pas montrer leurs bras. Comment expliquez-vous cette gêne ?
Pour des raisons personnelles, culturelles, les zones érogènes sont susceptibles de se "déplacer" et de contaminer les zones "neutres" : les bras parfois, le visage dans les pays musulmans (dévoilé seulement en famille), les chevilles chez les femmes hindoues… Autrefois, le baiser sur les lèvres, source de plaisir en Occident, n’était pas pratiqué en Afrique car la bouche n’était pas chargée d’érotisme.

Le sexe n’explique pas tout. On peut aussi avoir honte de ne pas correspondre aux critères esthétiques en vigueur…
" Je ne peux pas me mettre nue parce que je ne suis pas assez belle. " C’est contre ce genre d’idées que s’insurgent les naturistes, qui souhaitent promouvoir une autre forme de beauté, indépendante de l’image corporelle. Ils s’efforcent de porter sur autrui un regard qui ne juge pas, pour l’accepter tel qu’il est. Même s’il est manchot ou bancal. Il ne s’agit pas d’éliminer l’idée du beau, mais de l’élargir : être beau, c’est oser se montrer au naturel.

Le nudisme va-t-il de pair avec un refus du corps érotique ?
On s’accorde généralement à limiter l’érotisme aux organes génitaux. Dans le nudisme, il s’étend à l’ensemble du corps : on éprouve le plaisir d’être caressé par le vent, le sable ou l’eau. Certes, il s’agit surtout d’un érotisme de contact avec la peau, non d’une excitation sexuelle exacerbée.

Des femmes minces n’osent pas se dévêtir, se trouvant trop grosses. D’autres, qui le sont réellement, semblent s’en moquer…
Ces dernières ont bénéficié d’une éducation qui n’inculque pas la honte de soi mais, au contraire, le respect, l’amour de soi. La honte de sa propre apparence résulte du manque d’estime de soi. Or c’est dans l’enfance que se développe le sentiment de sa propre valeur.

SURMONTER :
Une pudeur excessive
L’impossibilité de regarder le corps nu des personnes du sexe opposé – problème touchant surtout les femmes – remonte presque toujours au complexe d’Œdipe, explique Marc-Alain Descamps. " Elle résulte d’une gêne insurmontable de la petite fille face à la nudité de son père. Cette inhibition masque des désirs, des fantasmes incestueux de l’enfance. Pour la vaincre, il faut généralement en passer par une psychanalyse ou une psychothérapie. Ce travail est également nécessaire quand la honte de son propre corps nu fait trop souffrir : il permettra d’intégrer le sentiment d’estime de soi qui fait défaut. "